mardi 26 août 2008

Castellion dialogue avec Athanase !



(Saint) Athanase d'Alexandrie


Pour partir ici encore, comme nous l'avons fait au livre précédent, de Dieu Lui-même, nous considérons tout d'abord la question de la Trinité.
La raison aperçoit qu'il y a un pouvoir divin ; nous l'avons démontré au début du livre précédent, et tous les peuples, en suivant la raison, s'en sont persuadés (sinon peut-être quelque race proprement sauvage, et qui avait mené dans les forêts une vie toute proche de celle des bêtes). Quant à savoir s'il y a un seul Dieu ou plusieurs, la raison ne l'aperçoit pas, ou difficilement ; c'est ainsi que le plus grand nombre des peuples, bien que doués de raison, mais privés de la révélation divine, ont adoré plusieurs dieux. Mais la venue du Christ, lumière du monde, fit que l'Asie, l'Europe et l'Afrique (qui étaient alors désignées comme les trois parties du monde) crurent à un seul Dieu, et malgré tant d'erreurs qui s'introduisirent par la suite, et au milieu de tant de crimes, elles n'ont cessé d'y croire, jusqu'à ce jour : si grande est la force de la lumière, lors même qu'elle brille dans les ténèbres. Il y a un Dieu : cette vérité, que personne ne saurait nier, ayant été admise de par la foi, il est permis ensuite à la raison de rechercher, sur cette base, s'il y a une Trinité et ce qu'elle est. La question est ardue, et il est périlleux de se prononcer fermement à ce sujet. Aussi me garderai-je de rien affirmer. Je soumettrai seulement aux réflexions des lecteurs une petite discussion en forme de dialogue, que son auteur n'a pas encore livrée au public. On jugera de sa valeur ; j'estime, quant à moi, qu'elle est digne d'être prise en considération. L'auteur imagine qu'il discute lui-même avec le Symbole d'Athanase, et commence en ces termes :

athanase. — Celui qui veut être sauvé, il est nécessaire avant tout, qu'il professe la foi catholique ; quiconque ne la gardera pas intégrale et inaltérée, sera perdu sans aucun doute et pour l'éternité.

l'auteur anonyme. — Il faut donc que la foi catholique soit telle que tous puissent la professer ; ces publicains, ces femmes de mauvaise vie, ce larron lui-même qui, suspendu a la croix, crut à Jésus-Christ, et fut sauvé (Luc xxiii, 40 sqq.), ont dû nécessairement, eux aussi, la professer ; sans quoi ils auraient été perdus.

athanase. — La foi catholique consiste à adorer un seul Dieu dans la trinité, et la trinité dans l'unité.

l'auteur. — Je ne pense pas que cette sorte de foi ait été commune à ces publicains et à ces femmes de mauvaise vie. Si tu le penses, prouve-le. Quant à moi, je n'en trouvai pas trace dans les Ecritures saintes. Si ce que tu écris est vrai, ; ces gens-là ont tous été perdus sans aucun doute et pour l'éternité ; à moins que tu ne parles pas du passé, mais de l'avenir. Mais ce n'est pas ton affaire, Athanase, de changer les temps à la mesure du tien, et de faire que ce qu'il n'était pas nécessaire de croire avant toi, le devienne après toi.
Je demande d'abord de l'unité ou de la trinité de quoi il s'agit. La trinité, c'est le nombre trois ; si l'on parle d'une « trinité » de feuilles (les imprimeurs disent en latin « ternio », en grec « triades ») on entend trois cahiers, et si l'on parle — dans le même vocabulaire — d'une « décade », il faut entendre dix cahiers. Or, de l'unité ou de la trinité de quoi parles-tu ? Si c'est de Dieu, ta proposition sera équivalente à celle-ci : « Nous devons adorer un seul Dieu dans une trinité de dieux, c'est-à-dire en trois dieux, et trois dieux en un Dieu. Proposition que je pense, tu n'approuverais pas. Si tu parles de personnes, il faudra dire : « Nous devons adorer une seule personne en trois personnes, et trois personnes en une personne. Et cela non plus, tu n'y souscrirais pas. Tu veux, en effet, que les trois ne forment pas une seule personne, comme tu le montres par ce qui suit. Si c'est de l'unité ou de la trinité de la substance que tu veux parler, il faudra alors entendre des paroles comme ceci : « Nous devons adorer la substance de Dieu en trois substances et les trois substances dans une seule substance. Mais si c'est vraiment là ta pensée, il y aura donc trois substances, c'est-à-dire trois dieux. Si plutôt il faut comprendre : « Nous devons adorer une seule substance, divine en trois personnes et trois personnes en une seule substance, tu t'exprimes d'une manière parfaitement obscure et bien énigmatique, ce qui ne convient guère à l'auteur d'un symbole de la foi qui doit être gardée par tous. Ce que tous doivent savoir, il faut au moins le dire de telle manière que cela puisse être compris par tous.

athanase. — II ne faut ni confondre les personnes, ni séparer la substance.

l'auteur. — Je voudrais bien savoir ce que tu nommes des personnes. Si tu entends personne comme le font les Latins, quand ils disent la personne de César pour César, la personne sera la même chose pour la substance, et ta formule n'aura aucun sens. Si, par contre, tu entends par personne, ce que nous entendions en disant d'un même homme, qui serait citoyen, cantonnier et père, que ce sont là trois personnes alors tu nous présentes le père, le fils et le Saint Esprit comme un seul et même être. D'où il suivra que quand le Christ ordonne de baptiser au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, c'est comme s'il avait ordonné de baptiser au nom d'un seul Dieu à trois noms. Ce qui est faux, et non moins absurde que de dire : telle chose a été faite au nom du fils d'Abraham, d'Isaac et du père de Jacob. Et quand le Christ à prié son père, il se serait prié lui-même. Et quand le père a engendré le fils, il se serait engendré lui-même. Et quand il à envoyé le Fils, et envoyé le Saint Esprit, il se serait envoyé lui-même. Nul ne niera que cela soit faux et insensé.

athanase. — Autre est, en effet, la personne du Père, autre celle du Fils, autre celle du Saint Esprit. Mais le Père, le Fils et le Saint Esprit ont une seule divinité, une égale gloire, une coéternelle majesté. Tel est le Père, tel est le Fils, tel aussi le Saint Esprit. Le Père est incréé, le Fils est incréé, le Saint Esprit est incréé. Le Père est immense, immense le Fils, immense le Saint-Esprit. Le Père est éternel, éternel le Fils, éternel le Saint Esprit.

l'auteur. — De toutes ces subtilités, je ne trouve pas trace dans les Saintes Ecritures, et tu exiges de nous plus que Dieu même qui ne nous a ordonné nulle part de croire ces choses.

athanase. — Et pourtant il n'y a pas trois éternels, en un éternel ; de même il n'y a pas trois incréés ou trois immenses, mais un seul incréé et un seul immense. De même le Père est tout-puissant, tout-puissant le Fils, tout-puissant le Saint Esprit. Et pourtant il n'y a pas trois tout-puissants, mais un seul tout-puissant. Ainsi le Père est Dieu, le Fils est Dieu, le Saint Esprit est Dieu, et cependant il n'y a pas trois dieux, mais un seul Dieu. De même le Père est le Seigneur, le Fils est le Seigneur, le Saint Esprit est le Seigneur, et cependant il n'y a pas trois Seigneurs, mais un seul Seigneur.

l'auteur. — C'est comme si lu disais : Abraham est un vieillard, Isaac est un vieillard, Jacob est un vieillard, et pourtant ce ne sont pas trois vieillards, mais un seul. Ou comme si tu disais : Le palmier est séculaire, le cèdre est séculaire, le chêne est séculaire ; et cependant ce ne sont pas là trois séculaires, mais un seul. En vérité, pour que je croie de telles choses, Athanase, il est nécessaire que je prenne congé de toute ma raison (cette raison qui est de beaucoup le plus excellent de tous les dons de Dieu, et par laquelle l'homme se distingue le plus des bêtes et ainsi, ayant échangé ma nature et mon jugement contre ceux des bêtes, je serais privé de cela même, qui est nécessaire pour croire. Il y eut autrefois un certain sophiste, du nom de Gorgias, qui osa prétendre que rien de ce qui existe, n'existe ; et Isocrate réfuta, comme il convenait, cette absurdité. Mais ce que tu avances ne me paraît pas moins absurde, quand tu affirmes que trois, dont tu dis que chacun est éternel, ne sont pas trois éternels. Quant à moi, Dieu, la nature, le langage de toutes les nations, la grammaire, la dialectique, l'arithmétique, s'accordent à n'enseigner que trois est trois, et que un est un, et que si telle chose est trois, elle n'est pas un, et que si elle est un, elle n'est pas trois, et ceux qui nient cela ne me paraissent pas plus que les bêtes, susceptibles de rien apprendre.

Ainsi s'exprime un auteur, dont j'ai voulu du moins soumettre les idées à la réflexion du lecteur. Et certes, si je pouvais défendre Athanase, je le ferais. Mais je dois confesser franchement que je ne puis. Si quelqu'un le peut, je l'approuverai de le faire. Loin de moi la pensée d'étouffer la vérité. Pour ce qui est de ma foi, je crois en un seul Dieu, Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, et en Jésus-Christ son Fils unique, notre Seigneur, et au Saint Esprit. C'est dans cette foi que je vis, et que je m'efforcerai, avec l'aide de Dieu, de vivre jusqu'à la fin. Je suis persuadé que ceux qui gardent cette foi simple, que l'on estime nous avoir été transmise par les apôtres, sont dans la voie du salut, même s'ils ne professent et ne croient pas je ne sais quelles subtilités inexplicables, introduites dans l'Église par quelque excès de zèle, après les temps de la simplicité apostolique. Si certains possèdent un esprit assez aigu, pour saisir ce que moi et ceux qui me ressemblent ne saisissons pas, tant mieux, je n'en suis pas jaloux. Mais exiger que cette acuité de l'esprit de tous ceux qui doivent être sauvés, ce serait — du moins à mon sens — fermer la voie du salut à la plus grande partie des hommes.

Sébastien Castellion – De l’art de douter et de croire, d’ignorer et de savoir, Livre II, De la Trinité

vendredi 8 août 2008

Parution inédite de l'œuvre de Michel Servet en Français !

On l’attendait depuis une éternité et enfin il est sorti !



La professeure Rolande-Michelle Bénin et sa collaboratrice Marie-Louise Gicquel, toutes deux agrégée de Lettres classiques, ont réalisé ce travail sur l’original latin mêlé d’expressions hébraïques et grecques qui ne nous avait été offert au 20ème siècle en langues modernes qu’en anglais (E.M. Wilbur, 1932) et plus récemment en espagnol (voir le site miguelservet.org).

Je donne ci-après un résumé de l’éditeur Honoré Champion (pour le commander chez l’éditeur : librairie@honorechampion.com - http://www.honorechampion.com/).

On trouvera également un article consacré au livre à cette adresse : http://labesacedesunitariens.over-blog.com/article-21834350.html

Présentation de l'éditeur (selon Amazon.fr)
Les bûchers illuminent le décor de la Renaissance tandis que les avancées des humanistes apportent de nouvelles lumières à la science. On fera à Michel Servet (1511-1553) l'honneur de deux autodafés : le premier brûla son effigie et ses livres dans la catholique Vienne du Dauphiné, le second supplicia son corps dans la Genève calviniste. Cet Aragonais, qui allait devenir français, quitta la cour de Charles-Quint à vingt ans pour se lancer à corps perdu dans la bataille de la Réforme, insuffisamment radicale à ses yeux. Il publia dès 1531 son premier traité, Sept Livres sur les erreurs de la Trinité. Cet ouvrage brillant et non-conformiste (non démenti par ses Dialogues de 1532 et sa Restitution du Christianisme de 1553) est animé d'un ardent désir de retrouver l'enseignement originel du Christ, et d'un féroce esprit critique contre la théologie. Il y compare la Bible, l'enseignement des Pères de l'Eglise, les dogmes des églises institutionnalisées et les spéculations de la scolastique. Armé d'une excellente connaissance des Ecritures, capable de citer la Torah en hébreu, les Targums en araméen, le Nouveau Testament en grec, capable de se référer à la littérature rabbinique et au Coran, il marche sur les traces des précurseurs de la critique textuelle moderne, Valla et Erasme. Il proclame la nécessité pour les exégètes de connaître l'hébreu et le grec, leur étymologie et leur évolution sémantique. Il met en lumière l'indispensable connaissance de l'histoire événementielle et de l'histoire' des mentalités, qui permettent de comprendre la Bible. Il subordonne la recherche théologique à l'axiome fondamental de l'épistémologie d'Aristote. Le même amour de la vérité fait de lui un savant anatomiste, émule de Vésale dans la pratique de la dissection, et découvreur de la circulation du sang dans les poumons. Dans le traité Sur les erreurs de la Trinité, satire et lyrisme, rigueur démonstrative et fantaisie font bon ménage.

Biographie de l'auteur
Cet ouvrage singulier est ici traduit et annoté pour la première fois en français par Rolande-Michelle Bénin, agrégée de Lettres classiques, docteur en Langue et Littérature grecques, membre de l'Association Internationale d'Études Patristiques et spécialiste de Grégoire de Nazianze, avec pour la traduction, la collaboration de Marie-Louise Gicquel, agrégée de Lettres classiques.