mercredi 30 avril 2008

La Théologie Germanique

J’ai voulu publier sur ce blog cette préface qui n’a rien à voir avec la défense de la liberté de conscience pour une simple raison.
Nombreux sont les admirateurs de ce remarquable humaniste que fut Sébastien Castellion.
Son œuvre a été souvent réédité sur des initiatives scientifiques par des historiens de la religion ou personnelles par des croyants libéraux mais demeure quasi inconnu dans les milieux possédant une profession de foi.
Pourtant derrière l’humaniste et le libre-penseur se dissimule à peine le croyant empreint de piété.
Le « libre » Castellion était un chrétien convaincu de la véracité de la Bible et un théologien digne d’un Erasme ou d’une tout autre pointure parmi les écrivains religieux du 16ème siècle.
Castellion publia des dialogues basés sur l’Ecriture Sainte à l’usage des étudiants en latin, traduisit l’intégralité de la Bible en latin et en français (même le Cantique de Salomon sur lequel il avait émis des doutes quand à sa canonicité à cause de son caractère « sensuel ») et, entre autres, des œuvres de piété médiévales tels que l’Imitation de Jésus-Christ ou la Théologie Germanique.
Ses doutes entourant le Cantique des Cantiques sont une preuve supplémentaire que l’homme pieu prenait facilement le dessus sur le libre penseur.
Car il n’émit pas ces doutes par esprit critique mais par parce qu’il considérait l’œuvre comme salissant l’Ecriture par son contenu et qu'elle avait, selon lui, été introduite dans le canon par erreur, Salomon l’ayant écrit lorsqu’il était devenu idolâtre.

Comme toutes les grandes choses Castellion n’appartient à personne en particulier.
Il fait parti du patrimoine et de la conscience de l’humanité.
Il est porteur du message de toutes les bonnes volontés, quelles soient réunies autour d’une théologie libérale ou d’une profession de foi…

La Théologie Germanique, œuvre d’un prêtre-garde des Chevaliers de l’Ordre Teutonique de la seconde moitié du 14ème siècle, fut publiée en latin en 1557 et traduite en français en 1558 par Sébastien Castellion.

Le volume « chapitres choisis » publiés chez Enschedé en zonen à Haarlem (Pays-Bas) en 1950 offre la préface de Castellion, la traduction française de la Theologia Deutsch que Pierre Poiret, français réfugié en Hollande, avait réalisée en 1676 et 1700 ainsi qu’une postface du célèbre castellioniste Marius Valkhoff, professeur de philologie romane à l’université du Witwatersand de Johannesburg et rééditeur de l’œuvre.


PREFACE A LA THEOLOGIE GERMANIQUE

1558

Aux LECTEURS, SALUT.

J'ai trouvé ce petit Traité tant a mon gout qu'il ma semblé bon de le tourner en notre langue. Car combien que le discours soit assez bref, pourtant est-il tant copieux qu'on le pourrait facilement comparer à quelque petit verger si bien troussé et planté qu'on n'y put trouver aucun frêne, tilleul, ou platane, ou quelque autre espèce d'arbre; même de ceux qui ne servent que pour le plaisir de l'homme et non point pour porter aucun fruit: mais est rempli et garni de toutes sortes d'arbres fructueux. Aussi n'en faut-il point moins estimer de ce présent Traité, lequel n’est point pour chatouiller l'esprit des lecteurs de quelque langage friant, doux et plaisant, et comme fardé de petites Heurs; mais ne nous monstre autre chose que bons et profitables préceptes, fort nécessaires et convenables à l'institution d'un homme chrétien. Mais parce que la brièveté de celui-ci le rend un peu plus obscur et difficile, je conseillerais à un chacun de ne le lire pas seulement une fois et en passant par dessus. Encore veux-je dire un point, c'est que celui qui aura vouloir de le lire pour savoir, et non pour mettre en exécution ce qui est contenu en celui-ci, le lira en vain. Car c'est comme nous voyons par expérience de ceux qui se veulent adonner au labourage de la terre, auxquels est nécessaire de mettre la main a la charrue. Quant à la translation, vous devez entendre que je n’ai voulu ajouter ou diminuer aucune chose à l'intention de l'auteur; tellement qu'en le tournant je n'ay peu moins éviter l'obscurité que le même auteur en le composant. Au moyen de quoi je conseille derechef a un chacun de le lire souvent et soigneusement: en ce faisant ceste diligence lui servira de Commentaire. Et si, en le lisant, on trouve quelques manières de parler qui sembleront possible étranges du commencement, on connaitra finalement que nécessité ma contraint à ce faire.
L intitulation du livre était la Théologie Germanique, et n'est faite mention de l’Auteur, sinon en quelque petite Préface, où il est dit que c'était un de ceux qu'on appelait anciennement les Frères Teutoniques, lesquels nous appelions maintenant en France les Chevaliers de Rhodes ou de Malte, étant pour lors Prêtre et gardien en la Religion des Teutoniques a Francfort. L'argument et sujet est du nouvel homme ou nouvelle créature, car il vient à donner la raison par laquelle l'homme peut être relevé du péché et retourner à Dieu, duquel il s'est distrait. En quoi nous voyons que ce ne peut être sinon une vraie et sainte Théologie. La raison est telle que l'homme étant tombé par suivre son propre vouloir, s'il se veut a la fin redresser et retourner en son premier état, il faut nécessairement qu'il délaisse entièrement son propre vouloir et suivre celui de Dieu, vu que les remèdes des choses sont toujours par leur contraire; j’omet que le vouloir de l'homme est contraire a celui de Dieu. Au moyen de quoi il est impossible (comme nous lisons) de servir à deux Maitres contraires l'un a l'autre. Mais tout ainsi que l’homme se peut bien aveugler et donner la mort de sois même, mais non pas qu'il se puisse après illuminer et rendre la vie, — aussi notre premier père Adam, en suivant sa propre volonté, a eu le pouvoir de se détruire et mettre a perdition avec toute sa postérité; mais de se sauver et racheter de telle ruine, il ne le pouvait aucunement faire, ne aucun semblable a lui. Tellement que pour le salut des humains il a été nécessaire qu'il y eut quelqu’un lequel, étant exempt de péché, pût racheter les autres de péché et enseigner le chemin de vie. Celui-là est JESUS Christ, fils de Dieu vivant, auquel toute puissance a été donnée tant au ciel qu'en la terre, lequel non seulement nous monstre cette voie de salut, mais, qui plus est, donne la force et le pouvoir a l'homme de cheminer en celle-ci, moyennant la Foi. J'entends la Foi, non pas celle qui est morte, laquelle ne se doit point appeler non plus Foi que l'homme doit être appelé Homme quand il est mort. Mais j'entends cette Foy vive par œuvres et effets, c'est à savoir tels que les décrit très bien saint Pierre, quand il dit: 'Mes frères, ayez tout votre soin en cela, acquérant en votre Foi vertu, en vertu science, en science modération, en modération patience, en patience piété, en piété amour fraternel, en amour fraternel charité. Car si vous avez ces choses, et vous abondent, elles ne vous laisseront point oiseux, ne labourant en vain en la connaissance de notre Seigneur Jésus Christ. Mais celui qui n’a point ces choses, est aveugle et tâtant la voie avec la main, ayant oublié qu'il est purgé de ses vieux péchez. Pourquoi, mes frères, mettez peine de confirmer votre vocation et élection, car en ce faisant vous ne tomberez jamais.' Voilà que dit S. Pierre, en parlant de la vraie et vive Foi, laquelle est non seulement cause que l'homme détient rémission de ses péchez par le mérite de Christ, mais fait que tout ainsi que autrefois il avait donné ses membres pour faire injustice en péchant, au contraire pour l'avenir il les puisse faire Ministres de justice en bien faisant. Or, parce que saint Pierre décrit en ce lieu une certaine échelle pour parvenir a salut, je l'ay bien voulu expliquer par le menu, afin que plus facilement nous puissions connaitre par combien de degré il nous faut monter, et pour admonester qu'on ne se doit point arrêter au premier degré, estimant avoir déjà atteint le souverain but de salut, duquel il est encore éloigné de beaucoup de degrés. Il faut donc premièrement entendre (suivant l'avis de S. Pierre) que Foy engendre vertu, c'est à savoir une force et puissance pour faire ce que nous croyons devoir être fait. Et pour en donner un exemple: Christ nous a expressément commandé d'aimer nos ennemis et de faire bien a ceux qui nous offensent. En cela, on en trouve qui ne croient aucunement que cela se puisse faire, tellement qu'ils ont en haine leurs ennemis et leur font mal; les autres croient que cela se peut faire, ce qu'ils font. C’est pourquoi, prends un peu garde à toutes les sectes et à tous les hommes de ce monde, et tu trouveras que ceux qui croient que cela se peut faire se mettent en devoir de le faire, et que Christ (duquel ils ont reçu cette Foy) leur donne aussi la force et le courage d'accomplir ses commandements; car il n'a point été dit sans cause qu'il n'est rien impossible à celui qui croit fermement. Autant en peut-on dire universellement de tous les autres commandements de Christ, suivant ce qu'il disait coutumièrement: 'Te soit fait tout ainsi que tu as cru, tellement que cela est dit universellement. Autant que l'homme a de Foy, autant a-t-il de vertu. Au surplus, ceste vertu engendre science; car la vraie science consiste en expérience, afin que celui qui a eu la puissance de faire quelque chose, sache finalement pour certain quelle se pou voit faire. Ce qu'il ne savait pas par avant qu'il le crut, comme nous en voyons très bien l'exemple de Josué et Caleb, et autres enfants d'Israël, qui, ayans surmonté les Cananéens, connurent alors véritablement avoir eu la puissance de les surmonter. Mais ceux qui n'avaient pu croire que cela se put faire, n'eurent pas la puissance de les surmonter, et pourtant ne crurent-ils-pas que cela s'était pu faire. Aussi ceux qui pour aujourd'hui ne peuvent croire que la puissance de Christ soit telle qu’elle puisse froisser la teste du serpent sous nos pieds, ne peuvent résister au péché. Pourtant ne savent-ils pas qu'il se puisse faire, et pour cette causent ils le nient. Mais ceux qui le croient, le peuvent moyennant ceste Foy, ce que finalement ils savent pour certain avoir peu faire, et pourtant l'afferment. Davantage, science produit modération, à cause que l'homme étant confirmé par ceste science chemine vers le but, espérant avoir telle issue aux autres degrés, tellement qu'il s'abstient de toutes concupiscences et voluptés charnelles, qui combattent incessamment contre l'esprit, craignant que par empêchement de celles-ci la victoire ne lui soit ravie. Or, tout ainsi que les Chaldéens persécutaient et tourmentaient le Pays de la Judée, quand elle leur était rebelle, vu que son bon gré autres fois elle leur avait porté hommage (ce qui se fait aussi coutumièrement en toutes rebellions de sujets), — ainsi se fait en nous. Car les concupiscences et voluptés, auxquelles ci-devant nous avons obéi de notre propre vouloir, quand nous venons à batailler contre elles par modération, alors nous tourmentent et donnent autant de douleur et fâcherie, comme nous les avions autrefois aimées; tellement que pour résister constamment à telle douleur, nous avons besoin d'une grande patience. Mais pour autant que nous savons bien que pour résister a telles mauvaises convoitises et affections, et endurer les injures, ceste douleur qu’il faut porter, excède nos forces, alors d'un bon courage nous invoquons, avec David, le Seigneur, que son plaisir soit de fortifier nos mains à telle guerre, et nous instruire et conduire en icelle, en nous donnant la force de pouvoir vaincre l'ennemi; et telle invocation et fiance1) s'appelle Piété. Puis ayans par cette piété impétré quelque bénéfice de Dieu, incontinent pour tels bienfaits, nous le venons aimer, tâchant de lui en rendre grâces, vu que naturellement nous aimons celui qui par amitié nous a fait quelque bien. Mais parce que nous ne lui pouvons rendre la pareille, à cause qu’il na que faire de nos biens, vu que tout est à lui, incontinent nous employons c’est amour envers ceux qu’il aime et qu’il nous recommande incessamment, c’est à savoir les gens de bien; tellement que d'un amour entier nous les secourons. Or, d'autant que c’est amour que nous portons à Dieu et a nos frères pour les bienfaits que nous recevons de lui, est imparfait, parce qu’il est conjoint avec l'amour de nous mêmes, c'est à savoir de notre profit particulier, pourtant ne laisse il pas de croitre toujours, jusques à ce qu'il ait atteint sa perfection; tout ainsi que nous voyons naturellement es plantes, animaux et finalement en toutes autres choses qui ne cessent de croitre, jusqu'à leur perfection. Aussi, en notre endroit, nous venons jusques la que nous aimons Dieu, non pas de ce qu'il est bon envers nous, mais parce qu'il est bon de par soi. Tout ainsi que naturellement nous aimons les choses qui de soi sont belles, seulement parce qu'elles sont belles, combien que nous n'en tirions aucun profit. Or est-il que la beauté de Dieu est la même bonté pour laquelle seule nous le devons aimer; et non point sous espérance d'en recevoir aucune récompense, ni pour crainte de punition. C'est cette charité que saint Pierre appelle le parfait amour de Dieu; il pourra bien être assuré d'être parvenu au bout de son chemin et accroissement. Car il n'y a rien plus parfait ne plus excellent que l'amour de Dieu, vu que c'est le même amour. C’est pourquoi j'ose bien dire que celui qui sera venu jusques à cet amour, aura incontinent perdu tout ce qu'il se peut attribuer de soi, aimant un seul Dieu comme le souverain bien et toutes choses que Dieu aime, c'est a savoir tout ce qui se peut imaginer hormis le péché, vu que Dieu aime toutes choses hors le péché. C'est donc le principal sujet de ce petit traité, l'Amour de Dieu, où il nous est monstre le chemin pour l’obtenir. Bienheureux est donc celui qui a déjà atteint ce but (si aucun toutefois y est déjà parvenu) ou bien celui qui est par chemin et qui constamment tache d'y parvenir. Car il faut estimer que s'il advient, en ceste bonne délibération, qu’il soit surpris de la mort, ne l'ayant point encor atteint, assurément il mourra comme bon soldat de Christ, qui le reconnaitra envers son Père; tout ainsi que par la Loi une fille étant déjà fiancée a son époux, sera toujours estimée sa femme et épouse, nonobstant que les noces ne soient faites.

SEBASTIEN CASTELLION

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