mercredi 30 avril 2008

La Théologie Germanique

J’ai voulu publier sur ce blog cette préface qui n’a rien à voir avec la défense de la liberté de conscience pour une simple raison.
Nombreux sont les admirateurs de ce remarquable humaniste que fut Sébastien Castellion.
Son œuvre a été souvent réédité sur des initiatives scientifiques par des historiens de la religion ou personnelles par des croyants libéraux mais demeure quasi inconnu dans les milieux possédant une profession de foi.
Pourtant derrière l’humaniste et le libre-penseur se dissimule à peine le croyant empreint de piété.
Le « libre » Castellion était un chrétien convaincu de la véracité de la Bible et un théologien digne d’un Erasme ou d’une tout autre pointure parmi les écrivains religieux du 16ème siècle.
Castellion publia des dialogues basés sur l’Ecriture Sainte à l’usage des étudiants en latin, traduisit l’intégralité de la Bible en latin et en français (même le Cantique de Salomon sur lequel il avait émis des doutes quand à sa canonicité à cause de son caractère « sensuel ») et, entre autres, des œuvres de piété médiévales tels que l’Imitation de Jésus-Christ ou la Théologie Germanique.
Ses doutes entourant le Cantique des Cantiques sont une preuve supplémentaire que l’homme pieu prenait facilement le dessus sur le libre penseur.
Car il n’émit pas ces doutes par esprit critique mais par parce qu’il considérait l’œuvre comme salissant l’Ecriture par son contenu et qu'elle avait, selon lui, été introduite dans le canon par erreur, Salomon l’ayant écrit lorsqu’il était devenu idolâtre.

Comme toutes les grandes choses Castellion n’appartient à personne en particulier.
Il fait parti du patrimoine et de la conscience de l’humanité.
Il est porteur du message de toutes les bonnes volontés, quelles soient réunies autour d’une théologie libérale ou d’une profession de foi…

La Théologie Germanique, œuvre d’un prêtre-garde des Chevaliers de l’Ordre Teutonique de la seconde moitié du 14ème siècle, fut publiée en latin en 1557 et traduite en français en 1558 par Sébastien Castellion.

Le volume « chapitres choisis » publiés chez Enschedé en zonen à Haarlem (Pays-Bas) en 1950 offre la préface de Castellion, la traduction française de la Theologia Deutsch que Pierre Poiret, français réfugié en Hollande, avait réalisée en 1676 et 1700 ainsi qu’une postface du célèbre castellioniste Marius Valkhoff, professeur de philologie romane à l’université du Witwatersand de Johannesburg et rééditeur de l’œuvre.


PREFACE A LA THEOLOGIE GERMANIQUE

1558

Aux LECTEURS, SALUT.

J'ai trouvé ce petit Traité tant a mon gout qu'il ma semblé bon de le tourner en notre langue. Car combien que le discours soit assez bref, pourtant est-il tant copieux qu'on le pourrait facilement comparer à quelque petit verger si bien troussé et planté qu'on n'y put trouver aucun frêne, tilleul, ou platane, ou quelque autre espèce d'arbre; même de ceux qui ne servent que pour le plaisir de l'homme et non point pour porter aucun fruit: mais est rempli et garni de toutes sortes d'arbres fructueux. Aussi n'en faut-il point moins estimer de ce présent Traité, lequel n’est point pour chatouiller l'esprit des lecteurs de quelque langage friant, doux et plaisant, et comme fardé de petites Heurs; mais ne nous monstre autre chose que bons et profitables préceptes, fort nécessaires et convenables à l'institution d'un homme chrétien. Mais parce que la brièveté de celui-ci le rend un peu plus obscur et difficile, je conseillerais à un chacun de ne le lire pas seulement une fois et en passant par dessus. Encore veux-je dire un point, c'est que celui qui aura vouloir de le lire pour savoir, et non pour mettre en exécution ce qui est contenu en celui-ci, le lira en vain. Car c'est comme nous voyons par expérience de ceux qui se veulent adonner au labourage de la terre, auxquels est nécessaire de mettre la main a la charrue. Quant à la translation, vous devez entendre que je n’ai voulu ajouter ou diminuer aucune chose à l'intention de l'auteur; tellement qu'en le tournant je n'ay peu moins éviter l'obscurité que le même auteur en le composant. Au moyen de quoi je conseille derechef a un chacun de le lire souvent et soigneusement: en ce faisant ceste diligence lui servira de Commentaire. Et si, en le lisant, on trouve quelques manières de parler qui sembleront possible étranges du commencement, on connaitra finalement que nécessité ma contraint à ce faire.
L intitulation du livre était la Théologie Germanique, et n'est faite mention de l’Auteur, sinon en quelque petite Préface, où il est dit que c'était un de ceux qu'on appelait anciennement les Frères Teutoniques, lesquels nous appelions maintenant en France les Chevaliers de Rhodes ou de Malte, étant pour lors Prêtre et gardien en la Religion des Teutoniques a Francfort. L'argument et sujet est du nouvel homme ou nouvelle créature, car il vient à donner la raison par laquelle l'homme peut être relevé du péché et retourner à Dieu, duquel il s'est distrait. En quoi nous voyons que ce ne peut être sinon une vraie et sainte Théologie. La raison est telle que l'homme étant tombé par suivre son propre vouloir, s'il se veut a la fin redresser et retourner en son premier état, il faut nécessairement qu'il délaisse entièrement son propre vouloir et suivre celui de Dieu, vu que les remèdes des choses sont toujours par leur contraire; j’omet que le vouloir de l'homme est contraire a celui de Dieu. Au moyen de quoi il est impossible (comme nous lisons) de servir à deux Maitres contraires l'un a l'autre. Mais tout ainsi que l’homme se peut bien aveugler et donner la mort de sois même, mais non pas qu'il se puisse après illuminer et rendre la vie, — aussi notre premier père Adam, en suivant sa propre volonté, a eu le pouvoir de se détruire et mettre a perdition avec toute sa postérité; mais de se sauver et racheter de telle ruine, il ne le pouvait aucunement faire, ne aucun semblable a lui. Tellement que pour le salut des humains il a été nécessaire qu'il y eut quelqu’un lequel, étant exempt de péché, pût racheter les autres de péché et enseigner le chemin de vie. Celui-là est JESUS Christ, fils de Dieu vivant, auquel toute puissance a été donnée tant au ciel qu'en la terre, lequel non seulement nous monstre cette voie de salut, mais, qui plus est, donne la force et le pouvoir a l'homme de cheminer en celle-ci, moyennant la Foi. J'entends la Foi, non pas celle qui est morte, laquelle ne se doit point appeler non plus Foi que l'homme doit être appelé Homme quand il est mort. Mais j'entends cette Foy vive par œuvres et effets, c'est à savoir tels que les décrit très bien saint Pierre, quand il dit: 'Mes frères, ayez tout votre soin en cela, acquérant en votre Foi vertu, en vertu science, en science modération, en modération patience, en patience piété, en piété amour fraternel, en amour fraternel charité. Car si vous avez ces choses, et vous abondent, elles ne vous laisseront point oiseux, ne labourant en vain en la connaissance de notre Seigneur Jésus Christ. Mais celui qui n’a point ces choses, est aveugle et tâtant la voie avec la main, ayant oublié qu'il est purgé de ses vieux péchez. Pourquoi, mes frères, mettez peine de confirmer votre vocation et élection, car en ce faisant vous ne tomberez jamais.' Voilà que dit S. Pierre, en parlant de la vraie et vive Foi, laquelle est non seulement cause que l'homme détient rémission de ses péchez par le mérite de Christ, mais fait que tout ainsi que autrefois il avait donné ses membres pour faire injustice en péchant, au contraire pour l'avenir il les puisse faire Ministres de justice en bien faisant. Or, parce que saint Pierre décrit en ce lieu une certaine échelle pour parvenir a salut, je l'ay bien voulu expliquer par le menu, afin que plus facilement nous puissions connaitre par combien de degré il nous faut monter, et pour admonester qu'on ne se doit point arrêter au premier degré, estimant avoir déjà atteint le souverain but de salut, duquel il est encore éloigné de beaucoup de degrés. Il faut donc premièrement entendre (suivant l'avis de S. Pierre) que Foy engendre vertu, c'est à savoir une force et puissance pour faire ce que nous croyons devoir être fait. Et pour en donner un exemple: Christ nous a expressément commandé d'aimer nos ennemis et de faire bien a ceux qui nous offensent. En cela, on en trouve qui ne croient aucunement que cela se puisse faire, tellement qu'ils ont en haine leurs ennemis et leur font mal; les autres croient que cela se peut faire, ce qu'ils font. C’est pourquoi, prends un peu garde à toutes les sectes et à tous les hommes de ce monde, et tu trouveras que ceux qui croient que cela se peut faire se mettent en devoir de le faire, et que Christ (duquel ils ont reçu cette Foy) leur donne aussi la force et le courage d'accomplir ses commandements; car il n'a point été dit sans cause qu'il n'est rien impossible à celui qui croit fermement. Autant en peut-on dire universellement de tous les autres commandements de Christ, suivant ce qu'il disait coutumièrement: 'Te soit fait tout ainsi que tu as cru, tellement que cela est dit universellement. Autant que l'homme a de Foy, autant a-t-il de vertu. Au surplus, ceste vertu engendre science; car la vraie science consiste en expérience, afin que celui qui a eu la puissance de faire quelque chose, sache finalement pour certain quelle se pou voit faire. Ce qu'il ne savait pas par avant qu'il le crut, comme nous en voyons très bien l'exemple de Josué et Caleb, et autres enfants d'Israël, qui, ayans surmonté les Cananéens, connurent alors véritablement avoir eu la puissance de les surmonter. Mais ceux qui n'avaient pu croire que cela se put faire, n'eurent pas la puissance de les surmonter, et pourtant ne crurent-ils-pas que cela s'était pu faire. Aussi ceux qui pour aujourd'hui ne peuvent croire que la puissance de Christ soit telle qu’elle puisse froisser la teste du serpent sous nos pieds, ne peuvent résister au péché. Pourtant ne savent-ils pas qu'il se puisse faire, et pour cette causent ils le nient. Mais ceux qui le croient, le peuvent moyennant ceste Foy, ce que finalement ils savent pour certain avoir peu faire, et pourtant l'afferment. Davantage, science produit modération, à cause que l'homme étant confirmé par ceste science chemine vers le but, espérant avoir telle issue aux autres degrés, tellement qu'il s'abstient de toutes concupiscences et voluptés charnelles, qui combattent incessamment contre l'esprit, craignant que par empêchement de celles-ci la victoire ne lui soit ravie. Or, tout ainsi que les Chaldéens persécutaient et tourmentaient le Pays de la Judée, quand elle leur était rebelle, vu que son bon gré autres fois elle leur avait porté hommage (ce qui se fait aussi coutumièrement en toutes rebellions de sujets), — ainsi se fait en nous. Car les concupiscences et voluptés, auxquelles ci-devant nous avons obéi de notre propre vouloir, quand nous venons à batailler contre elles par modération, alors nous tourmentent et donnent autant de douleur et fâcherie, comme nous les avions autrefois aimées; tellement que pour résister constamment à telle douleur, nous avons besoin d'une grande patience. Mais pour autant que nous savons bien que pour résister a telles mauvaises convoitises et affections, et endurer les injures, ceste douleur qu’il faut porter, excède nos forces, alors d'un bon courage nous invoquons, avec David, le Seigneur, que son plaisir soit de fortifier nos mains à telle guerre, et nous instruire et conduire en icelle, en nous donnant la force de pouvoir vaincre l'ennemi; et telle invocation et fiance1) s'appelle Piété. Puis ayans par cette piété impétré quelque bénéfice de Dieu, incontinent pour tels bienfaits, nous le venons aimer, tâchant de lui en rendre grâces, vu que naturellement nous aimons celui qui par amitié nous a fait quelque bien. Mais parce que nous ne lui pouvons rendre la pareille, à cause qu’il na que faire de nos biens, vu que tout est à lui, incontinent nous employons c’est amour envers ceux qu’il aime et qu’il nous recommande incessamment, c’est à savoir les gens de bien; tellement que d'un amour entier nous les secourons. Or, d'autant que c’est amour que nous portons à Dieu et a nos frères pour les bienfaits que nous recevons de lui, est imparfait, parce qu’il est conjoint avec l'amour de nous mêmes, c'est à savoir de notre profit particulier, pourtant ne laisse il pas de croitre toujours, jusques à ce qu'il ait atteint sa perfection; tout ainsi que nous voyons naturellement es plantes, animaux et finalement en toutes autres choses qui ne cessent de croitre, jusqu'à leur perfection. Aussi, en notre endroit, nous venons jusques la que nous aimons Dieu, non pas de ce qu'il est bon envers nous, mais parce qu'il est bon de par soi. Tout ainsi que naturellement nous aimons les choses qui de soi sont belles, seulement parce qu'elles sont belles, combien que nous n'en tirions aucun profit. Or est-il que la beauté de Dieu est la même bonté pour laquelle seule nous le devons aimer; et non point sous espérance d'en recevoir aucune récompense, ni pour crainte de punition. C'est cette charité que saint Pierre appelle le parfait amour de Dieu; il pourra bien être assuré d'être parvenu au bout de son chemin et accroissement. Car il n'y a rien plus parfait ne plus excellent que l'amour de Dieu, vu que c'est le même amour. C’est pourquoi j'ose bien dire que celui qui sera venu jusques à cet amour, aura incontinent perdu tout ce qu'il se peut attribuer de soi, aimant un seul Dieu comme le souverain bien et toutes choses que Dieu aime, c'est a savoir tout ce qui se peut imaginer hormis le péché, vu que Dieu aime toutes choses hors le péché. C'est donc le principal sujet de ce petit traité, l'Amour de Dieu, où il nous est monstre le chemin pour l’obtenir. Bienheureux est donc celui qui a déjà atteint ce but (si aucun toutefois y est déjà parvenu) ou bien celui qui est par chemin et qui constamment tache d'y parvenir. Car il faut estimer que s'il advient, en ceste bonne délibération, qu’il soit surpris de la mort, ne l'ayant point encor atteint, assurément il mourra comme bon soldat de Christ, qui le reconnaitra envers son Père; tout ainsi que par la Loi une fille étant déjà fiancée a son époux, sera toujours estimée sa femme et épouse, nonobstant que les noces ne soient faites.

SEBASTIEN CASTELLION

samedi 19 avril 2008

Conseil à la France désolée

Dix ans avant le massacre de la Saint Barthélémy survenu le 24 août 1572, Sébastien Castellion avait averti la France du danger qu’elle courait à ne pas chercher de remède à la guerre intestine qui la ruinait depuis le début de la réforme. Son conseil était simple : n’usez pas de la force dans le but de forcer les consciences. Il s’adressait tant aux catholiques qu’aux réformés car il était devenu évident que le problème national relevait autant de la mauvaise foi des premiers comme des seconds attendu que l’intolérance avait gagnée les deux camps. Les protestants s’étaient engagés dans une lutte pour le pouvoir et la monarchie semblait incapable de tolérer qu’une autre religion que celle qu’elle soutenait puisse exister.
C’est dans ce contexte que Castellion écrit son « Conseil à la France désolée ».

Partout où j’ai jugé utile de le faire, j’ai corrigé l’orthographe de 1562 afin de faciliter la lecture du texte. J’ai également remplacé quelques mots propres au vocabulaire de ce siècle par leurs équivalences modernes dans le même but, néanmoins le style de rédaction a été conservé.

Bonne lecture… la suite arrive bientôt…


Sébastien Castellion

Conseil
à la
France désolée

Auquel est montré la cause de la guerre présente et le remède qui y pourrait être mis et principalement est avisé si l’on doit forcer les consciences

L’AN 1562



La Maladie de France


Qu’une fiole du courroux de Dieu soit maintenant versée et répandu sur ta tête, ô désolée France, il est si manifeste, et te touche de si près, que pour te le faire croire, il n’est plus besoin de tenir de long propos. Car attendu que Dieu soit accoutumé de battre de guerre, de peste ou de famine ou des deux ou de tous trois ensemble, ceux contre lesquels il se courrouce, tu vois et sens qu’il te frappe pour le moins de l’un, à savoir de guerre (je me tais des autres deux, qui ne sont pas loin de tes épaules), voir d’une guerre si horrible et détestable que je ne sais si depuis que le monde est monde, combien qu’à peine est-il été jamais sans guerre, il n’y en eut jamais une pire. Car ce ne sont pas des étrangers qui te guerroient, comme bien autrefois a été fait, lorsque par dehors étant affligée, pour le moins tu avais par dedans en l’amour et l’accord de tes enfants quelque consolation. Mais ce sont tes propres enfants qui te désolent et t’affligent et le font en s’entre-chamaillant dans ton ventre, comme se faisait en Rebecca, mais en s’entre-meurtrissant et s’étranglant sans aucune miséricorde les uns les autres à belles épées toutes nues et pistolets et hallebardes, dans ton giron.

Tu entends bien, ô jadis florissante et maintenant tempêtée France, ce que je dis. Tu sens bien les coups et plaies que tu reçois, pendant que tes enfants s’entretuent si cruellement ; tu vois bien que tes villes et villages, voir tes chemins et champs, sont couverts de corps morts, tes rivières en rougissent, et l’air en est puant et infect. Bref, en toi il n’y a ni paix ni repos, ni jour ni nuit, et on n’y entend que plaintes et hélas de toutes parts, sans y pouvoir trouver lieu qui soit sûr et sans frayeur et meurtre, crainte et épouvante. Voilà ton mal, ô France, voilà la maladie qui, sans répit ne relâche, jour et nuit te tourmente.

Chercher remède

Maintenant il faut regarder s’il y a au monde conseil et remède pour te guérir, à laquelle chose de ma part j’ai mainte fois pensé et longtemps été en doute si je m’y devais employer, voyant la difficulté qui a moi se présentait ; non pas quand à donner conseil bon et certain (car cela, Dieu merci, si je ne m’abuse si lourdement, m’est assez facile), mais quand à le persuader à ceux sans le consentement desquels je ne vois pas comment il se puisse exécuter. Et, de fait, je me fusse pour le moment abstenu de cette entreprise, n’eut été la grandeur de ton mal, qui est si grand, et qui va de jour en tour tellement en empirant, que mieux vaut à vaut à toutes aventures se hasarder, et pour le moins faire mon devoir, que de te regarder périr si misérablement. Car qui sait si le Seigneur par ce moyen te voudrait secourir ? Ou si généralement ceci ne profite, il pourra servir à quelqu’un en particulier. Quant une maison brûle, chacun y court ; que si on ne la peut toute sauver, pour le moins on en retire quelque pièce, ce qui vaut mieux que rien. Ainsi en peut être de ceci : si chacun ne s’amende, peut-être que quelqu’un s’amendera, et en cela je n’aurai pas du tout perdu ma peine.

Quoi qu’il en soit, je me veux mettre en devoir de te donner conseil. Dieu fasse que ce soit à sa louange, et à ton profit, car je sais bien que s’il n’y met la main, c’est à moi et à tout homme peine perdue. Donc pour te trouver remède, il faut faire les bons médecins qui, pour guérir une maladie, cherchent toujours la cause, puis y appliquent remèdes contraires, suivant la règle générale, qui est que les maladies se guérissent par leur contraire. Semblablement, en ceci il faut regarder ce qui est la cause de ta maladie, puis y appliquer remèdes contraires. Autrement, tout ce qu’on y fera ne feront que beaux emplâtres qui, couvrant la plaie par dehors, par dedans la nourriront plutôt qu’ils ne la guériront.
La cause de ta maladie

Je trouve que la principale et efficiente cause de ta maladie, c’est-à-dire de la sédition et guerre qui te tourmente, est contrainte de conscience, et je pense que si tu y penses bien, tu trouveras assurément qu’il en est ainsi. Car pourtant comme on a longtemps forcé et voulu forcer les consciences des Evangéliques (protestants, Ndlr), ils firent premièrement l’Entreprise d’Amboise (la Conjuration d’Amboise, Ndlr), en laquelle ils découvrirent leur vouloir et intention, et par cela agacèrent fort l’adverse partie, et se rendirent fort suspects.
Depuis sont survenues divers entrefaites, nommément l’Edit de janvier, par lequel était arrêté par les Etats (généraux, Ndlr) que les Evangéliques feraient leurs prêches hors des villes et que l’on ne leur ferait nul déplaisir. Mais de cet édit ne se contenta ni l’une ni l’autre des parties, et principalement les Catholiques, lesquels firent tant au massacre de Vassy, et autres, que soit sédition, soit guerre mortelle, s’en est suivie. J’entends bien quelques Evangéliques vous disant qu’ils n’ont pas pris les armes pour la religion, mais pour faire maintenir ledit édit. Mais qu’on se couvre tant qu’on voudra, puisque l’édit même était fait à cause de la religion et que la tuerie de Vassy (à cause de laquelle les Evangéliques se sont levés) fut faite à cause de la religion et que depuis s’en sont ensuivies captures et saccages d’églises et destructions d’images, il vaut sans aucune couverture confesser la vérité, c’est que, combien d’autres choses s’y mêlent, néanmoins la principale cause de cette guerre est vouloir maintenir la religion. Et de fait, si l’Edit de janvier eut été fait sur une matière non concernant la religion, je crois bien que les Evangéliques (et eux-mêmes, je le crois, me le confesseront bien) n’eussent été si prompts et diligents à faire une émeute si grande et dangereuse. Je me tais qu’eux-mêmes en leur association faite à Orléans donnent assez à entendre qu’ils guerroient pour la religion, vu que des trois causes pour lesquelles ils se disent prendre les armes, la première est l’honneur de Dieu. Pourtant faut-il conclure que la cause de cette guerre est contrainte de conscience.

Faux remèdes

Or, le remède que tes enfants, ô France, cherchent, c’est premièrement de se guerroyer, tuer, meurtrir les uns les autres et, qui pis est, d’aller quérir des nations étrangères argent et gens, afin de mieux résister, ou pour mieux dire, afin de mieux se venger de leurs frères. Secondement, de forcer les consciences les uns des autres.

Voilà les remèdes que tes enfants, ô pauvre France, cherchent à ta maladie, lesquels tant s’en faut que ce soient vrai remèdes, que c’est justement tout au contraire, car ce sont les droits moyens d’entièrement te gâter et détruire, tant corporellement que spirituellement. Car quand au premier, on sait bien que gens étrangers, qui en une telle sédition prêtent secours à une part ou à l’autre, ne sont communément pas tant charitable qu’ils n’aient, sinon du tout, pour le moins en partie égard à leur profit, autant ou plus qu’à celui d’autrui, de sorte que, si occasion se présente, il advient bien souvent qu’ils disent : « cette pièce sera bonne pour nous ». Que si aujourd’hui cela t’advenait, ô France, (et de fait le monde n’est pas si bon qu’on ait cause de s’en douter) te voilà la plus déchirée et démembré qui fut jamais. Car, puisque de diverses parts divers secours te viennent, si d’aventure chacun venait à tirer à soi, je te laisse penser en quelle état tu serais.

Ce n’est pas dès aujourd’hui que tels tours se jouent et que secours étrangers en tels désaccords ont été plus nuisant que profitables. Et de cela on en pourrait amener plusieurs exemples, mais pour le présent je me contenterai des deux, dont l’un sera étranger, et l’autre de chez toi. L’étranger est du différent qui fut jadis en Judée, environ 70 ans avant la naissance de notre sauveur Jésus-Christ. En ce différent, Pompée, capitaine des Romains, qui pour lors était en ces contrées, étant par eux appelé en aide, leur secourut tellement qu’il assujettit la Judée aux Romains et la fit tributaire ; laquelle subjection et servage a depuis durée jusqu’à aujourd’hui. Le second exemple, qui est de chez toi, est de ceux d’Auvergne et de ceux d’Augustodunum (Autun dans le texte, Ndlr), lesquels au temps de Jules César étant les principaux des deux bandes entre lesquelles était divisée toute la Gaule et ayant entre eux différents (pour savoir, Ndlr) lesquels seraient les maitres, les Arvernes (Auvergnats dans le texte, Ndlr) et les duens (Bourguignons dans le texte, Ndlr) allèrent demander secours aux Germains (Allemands dans le texte, ici et ailleurs, Ndlr) contre ceux d’Augustodunum (Autun dans le texte, Ndlr), lequel secours les Germains leur portèrent, de sorte qu’ils assujettirent et traitèrent misérablement et les uns et les autres, jusqu’à temps que Jules César les délivra vraiment tout deux de la subjection des Germains, ayant vaincu Arioviste, le roi des Suèves (Allemands dans le texte Ndlr), mais ce fut en telle sorte que finalement et eux et les autres Gaulois furent fait sujets de Romains. Voila ce que fait bien souvent secours étranger lorsqu’il y a dissension entre gens d’un même pays.

Ces exemples sont assez suffisants pour te faire craindre, ô France, le cas semblable. Que si l’on me réplique qu’aussi il se trouve exemples contraires, par lesquels peut être montré que tels secours étrangers ont quelquefois profités, je réponds que c’est bien vrai. Mais la mal advient communément plutôt que le bien, et le monde est bien aujourd’hui si corrompu qu’on a maintenant plus c’occasion de craindre le mal qu’on eut jamais. Mais posons le cas qu’il n’y ait en cet endroit aucun danger et que ceux qu’on appel en aide soit des gens de bien et loyaux qu’ils n’aient aucunement égard à leur profit ou intérêt, je dis que cependant il s’épandra tant de sang (car certes sans sang telle guerre ne peut se faire) que la perte en soit irréparable. Voir que dis-je : Il s’épandra ? Il je dis qu’il s’en ait déjà tant épandu, (car on tient que cet été ont été mis à mort en France plus de cinquante mille personnes) que je ne sais si jamais tant de bien pourra résulter de cette guerre (et en soit l’issue tant heureuse que l’on voudra) qu’il en est déjà venu de mal. Tellement que le remède humain que cherchent tes enfants à ta maladie, n’est non plus propre pour la guérir que, si pour guérir un corps malade, on faisait en toutes sortes tous les efforts pour lui couper touts les membres.

Quant au remède spirituel, qui est de forcer les consciences les uns des autres, je ne saurais mieux m’étonner (et il faut ici que je parler franchement) de la déraison et l’aveuglement tant des uns que des autres. Et afin de mieux me faire entendre, je veux un peu ouvertement parler aux deux parties. Il y a aujourd’hui en France deux sorte de gens qui pour la religion s’entre font la guerre les uns aux autres, dont les premiers sont par leurs adversaires appelés Papistes et les autres Huguenots, et les Huguenots s’appellent (pour parler d’, Ndlr) eux-mêmes Evangéliques, et les Papistes Catholiques. Je les appellerais comme eux-mêmes s’appellent afin de ne pas les offenser.

Aux Catholiques

Et premièrement pour parler à vous, ô Catholiques, qui vous dite avoir l’ancienne, vrai et catholique foi et religion, considérez un peu de près votre affaire, il en est temps et plus que temps. Souvenez vous comment vous avez traité les Evangéliques. Vous savez bien que vous les avez poursuivis, emprisonnés, mis au cachot, fait mangés aux poux et aux puces, et pourrir en bourbier, en ténèbres hideuses et ombre de mort et finalement rôtis tout vifs à petit feu, afin de les faire languir plus longtemps. Et pour quel crime ? Parce qu’ils ne voulaient pas croire au Pape ou à la messe ou au purgatoire et telles autres choses, lesquelles tant s’en faut qu’elles soient fondés en l’Ecriture que les noms même ne s’y trouve nulle part. Ne voilà pas une belle et juste cause de bruler les gens tout vifs ? Vous vous appelez Catholiques et faite profession de maintenir la foi catholique contenue dans les Saintes Ecritures, et cependant tenez pour hérétiques et brulez tout vifs ceux qui ne veulent pas croire ce qui est contenu dans les Ecritures ?

Arrêtez-vous un peu ici et pesez ceci à bon escient. C’est un point qui vous est de grande importance. Dites-moi, et répondez ici, car aussi faudra-il bon gré mal gré que vous en répondiez un jour devant le juste juge duquel vous portez le nom. Répondez, dis-je, à un point qui sans nul doute sera demandé au jour du jugement. Voudriez-vous qu’on vous fit ainsi ? Voudriez-vous qu’on vous persécuta, emprisonna, mit au cachot, fit mangés aux poux et aux puces, et pourrir en bourbier, en ténèbres hideuses et ombre de mort et finalement qu’on vous rôtit tout vifs à petit feu, pour n’avoir pas cru ou confessé quelque chose contre votre conscience ? Que répondez-vous ? Mais qu’est-il besoin de répondre ; on sait bien que votre conscience dit que non, voir si vivement que le plus hardi de vous ne l’oserait nier.


Or, considérez bien ce point. Si déjà en cette vie pleine d'ignorance et affections charnelles qui bien souvent aveuglent l'entendement des hommes, néanmoins cette vérité a tant d'efficacité qu'elle vous contraint, que vous le vouliez ou non, de confesser que vous avez fait à autrui autre chose que vous ne voudriez qu'il vous fut fait, que sera-ce au jour du Jugement, là où toutes choses seront clairement et vivement découvertes et mises au jour ? Et ne savez-vous pas que les consciences accuseront ou excuseront chacun au jour du juste Jugement ? Et savez-vous si le tort est petit que vous avez fait à vos frères ? Il est bien si petit qu'ils ont mieux aimé endurer tous les maux que votre cruauté (il faut qu'ainsi à la vérité je la nomme) a su inventer, que de faire (comme vous le requériez) chose contre leur conscience, ce qui est un signe que forcer la conscience d'un homme est pire que lui ôter cruellement la vie, puisqu'un homme craignant Dieu aime mieux se laisser ôter cruellement la vie que de laisser forcer sa conscience.


Et venons à l'expérience, et je vous prendrai vous mêmes à témoins. Il s'est trouvé et se trouve quelques
Evangéliques qui vous veulent contraindre à aller à leurs sermons, je vous demande comment vous plait cette violence ? Elle vous déplait sans nulle doute, et vous dites qu'on vous fait grand tort, et toutefois à ouïr un sermon votre conscience ne peut être tant blessée que celle d'un Evangélique à ouïr la messe. Apprenez de vos propres consciences à ne forcer celles d'autrui, et si vous ne pouvez endurer un moindre tort, n'en faites pas à autrui un plus grand, et reconnaissez que le mal qui maintenant vous presse, est un juste courroux et jugement de Dieu sur vous, qui vous rend la pareille, et vous mesure de la même mesure de laquelle vous avez mesuré, selon ce que dit l'Ecriture. « Qui mène en captivité, s'en va en captivité, qui par le glaive tue, par le glaive il faut qu'il soit tué. » (Apocalypse 13:10) Idem : « Tu es juste, Seigneur, de ce que tu as ainsi voulu faire ; que puisqu'ils répandaient le sang des saints et des prophètes, tu leur as accordé de boire du sang, comme ils en sont dignes. » (Apocalypse 16:5, 6) Car certes vous avez martyrisé et meurtri maint saint personnage, ce dont le Seigneur maintenant commence à vous en récompenser, que si vous ne vous amendez, n'attendez pas qu'il retire sa main étendue pour frapper. Or, comment est-ce que vous vous amendez ? C'est à faire pire que devant, c'est à savoir à persécuter les Evangéliques plus que jamais. Est-ce le moyen d'apaiser Dieu ? N'est-ce pas, tout au rebours, le droit moyen de l'agacer d'avantage ? Car s'il est courroucé contre vous pour vos cruautés du temps passé (comme de vrai il est, et vous êtes bien aveugles, si vous ne le voyez), n'attendez pas de l'apaiser en persévérant en la même cruauté. Car vous faites tout ainsi comme si un homme avait gagné la goutte à trop boire, et que pour la guérir il poursuivit de boire de plus fort. Ou si un enfant était battu de son père pour avoir battu son frère et que pour apaiser son père il poursuivit de battre son frère de plus fort.


Aux Evangéliques


Je viens maintenant à vous, Evangéliques. Vous avez autrefois patiemment souffert persécution pour l'Evangile ; vous avez aimé vos ennemis, et rendu bien pour mal, et bénit ceux qui vous maudissaient, sans leur faire autre résistance que de vous enfuir, s'il était besoin ; et tout cela faisiez-vous selon le commandement du Seigneur. D'où vient maintenant un si grand changement chez certains d'entre vous ? Les innocents ne s'offenseront point de mon dire ; je ne parle pas à tous, je parle à ceux qui sont tels, et leur dis ainsi : Le Seigneur a-t- il changé de commandement, et avez-vous nouvelle révélation que vous deviez faire tout au contraire qu'auparavant ? Vous aviez bien commencé en esprit, comment venez-vous à achever en chair ?


Celui qui autrefois vous avait commandé d'endurer et rendre bien pour mal, et auquel pour lors en endurant et rendant bien pour mal vous obéissiez, vous a-t-il maintenant commandé de rendre mal pour mal et, au lieu d'endurer persécution, la faire aux autres ? Ou si vous avez tourné le dos à son commandement et voulez désormais secouer
son joug de dessus votre col et vivre à votre fantaisie, en suivant le monde et vos cerveaux et ennemis ? Car que peut-on penser autre chose, quand vous employez sac et bagages, voire le bien des pauvres, en hallebardes et arquebuses, et tuez et massacrez et mettez à la pointe de l'épée vos ennemis, et remplissez et souillez les chemins et rues, voire les maisons et temples, du sang de ceux pour lesquels Christ est mort comme pour vous, et qui sont baptisés en son nom comme vous ?


Que dire de plus, que vous les venez contraindre à se trouver en vos sermons, voire, qui pire est, quelques-uns à prendre les armes contre leurs propres frères et ceux de leur religion, contre leur conscience ?


Vous examinez en outre les gens sur votre doctrine, et vous ne vous contentez pas qu'on accorde aux principaux points de la religion, lesquels sont clairs et évidents en la Sainte Ecriture. Puis, s'ils sont en tous points d'accord avec vous, vous leur donnez lettres par lesquelles partout où ils iront, ils pourront être connus d'entre les infidèles et prouver qu'ils sont fidèles, c'est-à-dire chrétiens. Voilà les trois remèdes dont vous usez, à savoir répandre le sang, forcer les consciences et condamner et tenir pour infidèles qui ne sera du tout d'accord avec votre doctrine. Je m'ébahie où est vostre entendement, et si vous ne voyez pas que vous suivez en ces trois points vos ennemis, et celui que coutumièrement vous appelez Antéchrist.


J'entends bien que c'est que certains de vous ont accoutumé de répondre : c'est que vous avez droit et eux tort, et que pour cela il vous est bien loisible de les persécuter et forcer, mais à eux n'est pas loisible de vous le faire, qui est autant que si vous disiez qu'il vous est bien loisible de ravir le bien d'autrui, mais non aux autres de ravir le vôtre. Mais embellisses vôtre cause devant les hommes tant que vous voudrez et cherchez tant de belles distinctions que vous voudrez, on sait bien, et j'en prends à témoins vos propres consciences, que vous faites à autrui chose que vous ne voudriez qui vous fut faite. Car si vous étiez Papistes, comme vous les appelez, et comme la plupart de vous l'ont autrefois été, vous ne voudriez point que l'on vous fit comme vous leur faites. Que si aujourd'hui étant encore en doute
qui sera le vainqueur, voir étant encore persécutés, vous usez néanmoins de telle rigueur et violence, il est à craindre que si vous venez au dessus de vos attentes, vous userez d'une tyrannie aussi grande que vos ennemis ont usé.


Vous usez puis du quatrième remède pour apaiser l'ire (la colère, ndrl) de Dieu, à savoir de prières et jeûnes, lequel remède serait bien bon et vrai, si les maux que j'ai dit n'empêchaient son opération. Mais là où il y a cruauté et déraison, jeûnes et prières ne sont point agréables à Dieu, ce que bien monstre Salomon, quand il dit : « Qui retire son oreille de ouïr la loi, sa prière même est abominable » (Proverbes 28:9), et Isaïe encore plus clairement, quand il dit que Dieu parle ainsi à son peuple : « Qu'ai-je affaire de tant de vos sacrifices ? » dit le Seigneur. Je suis soûl des brûlages de vos moutons et de la graisse des bêtes engraissées, et ne prends nul plaisir au sang des taureaux, des agneaux et des boucs. Quand vous venez comparaitre devant moi, qui vous demande cela que vous fouliez mes parvis ? Ne faites plus offrandes qui rien ne servent : l'encensement m'est une chose vilaine ; nouvelles lunes, sabbats, faire assemblées, vacations, telles choses de néant ne puis-je souffrir. Mon cœur hait vos nouvelles lunes et solennités, elles me pèsent, je suis las de les porter, et quand vous élevez les mains, je vous cache mes yeux ; et combien que vous fassiez beaucoup de prières, je n'écoute point, puisque vous avez les mains plaines de sang. Lavez-vous, nettoyez-vous, ôtez la mauvaiseté de votre nature de devant mes yeux, cessez de mal faire ; adonnez-vous à raison, défendes ceux auxquels on fait tort, faites droit aux orphelins, menez la cause des veuves. » (Isaïe 1:11-21)