jeudi 12 novembre 2009

1544: Brouillé avec Calvin, Sébastien Castellion doit quitter Genève

Article paru dans le journal La Tribune de Genève du 14 mars 2009.

http://www.tdg.ch/geneve/actu/1544-brouille-calvin-sebastien-castellion-quitter-geneve-2009-03-13

histoire | Cette fois, c’est fini. Les deux hommes ont consommé leur rupture.

© musée international de la réforme | Sébastien Castellion. Jean Calvin, qu’il considérait comme son mentor, ne supporte ni la ­contradiction ni la concurrence.

ÉTIENNE DUMONT | 14.03.2009 | 00:00

Cette fois, c’est fini. Les deux hommes ont consommé leur rupture. Nous sommes en 1544. Sébastien Castellion quitte définitivement Genève. Jean Calvin, qu’il considérait comme son mentor, ne supporte ni la ­contradiction ni la concurrence. Le réprouvé part d’autant plus volontiers qu’il conservera, au mieux, chez nous un poste de maître d’é-cole. Or le rêve de Castellion, c’est de devenir pasteur…

Sébastien Châteillon (il latinisera plus tard son nom) est né en 1515, l’année de la bataille de Marignan, à Nantua. Il a donc six ans de moins que Calvin. «On ignore comment ce fils de paysan a pu faire des études», explique Vincent Schmid, qui fait de lui le troisième homme de son récent livre sur Michel Servet (1). Sans doute s’agit-il d’un enfant prodige. Un seigneur ou un ecclésiastique se doit alors d’encourager les jeunes talents apparus sur leurs terres.

Révélation à Lyon

Castellion, dont on connaît la vie grâce à l’énorme ouvrage de Ferdinand Buisson, paru en 1892, fait donc sa scolarité à La Trinité de Lyon, un collège humaniste renommé. «Dans cette ville au sommet de son activité économique, les idées luthériennes ont vite circulé», reprend Vincent Schmid, qui est par ailleurs pasteur à Saint-Pierre. «L’étudiant a ainsi lu L’institution de la religion chrétienne de Calvin, sortie en latin à Bâle. C’est sa révélation.»

Par un hasard qui n’en est pas tout à fait un, le Bressan rencontre Calvin, alors exilé, à Strasbourg. Nous voici en 1541. «Il semble qu’il ait même habité chez lui.» On nage alors en pleine idylle théologique. Rappelé à Genève, le Picard prend Castellion dans ses bagages.
Leurs idées divergent cependant assez vite. «Calvin, comme Servet, croit que Dieu lui a parlé. C’est un inspiré.» Castellion se montre plus ouvert. «Par rapport à son maître, qui reste par bien des points un représentant du Moyen Age, il annonce les Temps modernes.» Le dissident défend les anabaptistes. Il dénonce la collusion du civil et du religieux. Il demande enfin une pluralité de voix au sein de la même Eglise.

La Sainte Trinité? Une idée personnelle

Afin d’agrandir cette ouverture, Castellion propose même un petit dénominateur commun. Tout le monde doit croire à un Dieu unique, tout-puissant, éternel et créateur. Avec la Trinité, nous entrons déjà dans le domaine spéculatif. «Une révolution.» Il s’agit en effet là de la pomme de discorde depuis le Concile de Nicée en 325. Comment le Christ peut-il être à la fois homme et Dieu, hein? Je vous le demande!
La question trinitaire se trouve ainsi au cœur du procès de Michel Servet en 1553. Pour le médecin espagnol, Jésus reste le fils de Dieu. Il ira au bûcher, à Champel, en disant «Jésus fils du Dieu éternel» et non pas, comme il aurait dû, «Jésus, fils éternel de Dieu». L’idée révolte notre Castellion, réfugié à Bâle. Il y a fait tous les métiers (scieur de long, porteur d’eau…) pour nourrir ses huit enfants avant d’enseigner le grec à l’illustre Université de la ville.

Castellion prend donc sa plus belle plume. Il défendra post mortem l’hérétique. «Tuer un homme, ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme», écrit-il dans son ­Contre le libelle de Calvin. La phrase a fait fortune. Elle passe pour la première affirmation de la tolérance religieuse. L’ennui, c’est que Castellion ne l’a pas publiée de son vivant. Son ouvrage ne paraîtra, et aux Pays-Bas, qu’en 1613.

Postérité hollandaise et française

«Castellion n’aura vu sortir que trois de ses livres», explique le pasteur Schmid, «dont sa superbe traduction de la Bible». Pourquoi cette prudence? «J’y vois des pressions. Calvin, qui était un homme de réseau, a pu noyauter Bâle. L’Université de cette ville a dû jouer son rôle en menaçant l’auteur de sanctions.» L’hellénisant tenait à son poste. Il mourra en 1563, épuisé et déçu, quelques mois avant son ennemi genevois.

L’exilé ne sera pas tout à fait oublié. «Disons qu’il va et vient dans l’histoire religieuse.» ­Castellion se verra cité en 1619 au synode de Dordrecht, où s’affrontent les faucons et les colombes du protestantisme. Spinoza le lira.
«Pierre Bayle parle de lui dans son Dictionnaire historique et critique de 1697, prudemment paru à Rotterdam. Ce n’est enfin pas un hasard si Buisson l’a choisi comme sujet de thèse au XIXe. «Cet ancien pasteur s’est fait en France l’apôtre de la laïcité.» Puis est venu Stefan Zweig. Le Viennois en a profité pour rapprocher Calvin d’Hitler. Bigre!

(1) «Michel Servet, Du bûcher à la liberté de conscience», de Vincent Schmid, aux Editions de Paris-Max Chaleil, 176 pages


L’affaire de l’athée Jacques Gruet

Sa tolérance signifie-t-elle que Castellion est prêt à tout admettre? Non. Une affaire, trop noire pour se voir évoquée lors d’un jubilé Calvin très consensuel, le prouve. Il s’agit du procès de Jacques Gruet. L’histoire se déroule en 1547, alors que le Bressan est déjà loin, mais elle a fait du bruit. En juin 47 donc, Gruet placarde une affiche sur la chaire de Saint-Pierre. Elle parle de «foutus prêtres renégats qui viennent nous mettre en ruine».

Le coupable est vite identifié. On trouve chez lui des manuscrits. Pour Gruet, les lois de Moïse «n’ont pas d’autre origine que les caprices des hommes». L’avis de Calvin sur l’immortalité de l’âme reste une «faribole». L’au-delà n’existe pas. L’important c’est de vivre l’instant, en chamboulant les règles établies par le Consistoire. Son procès devient celui de la libre-pensée. Pas un mot de ­Castellion. «Gruet sort du fameux cadre minimal». Pour notre théologien, l’athée demeure un monstre. «Il n’y a pas de place pour lui. L’hérétique croit en Dieu. Le juif et le musulman, à la limite aussi. Avec un Ciel vide, nous entrons dans le do-maine de l’impensable.»

Brûlé sans un mot

Dans ces conditions, que le malheureux Gruet soit brûlé le 26 juillet reste normal pour Castellion. «N’oublions pas que le scepticisme de Montaigne reste très discret. Le but officiel de la société civile reste, au XVIe siècle, l’adoration de Dieu.» Au XXIe, la question se pose encore. Un pays européen n’a-t-il pas interdit, il y a quelques semaines, une publicité pour l’athéisme «par égard pour les croyants pratiquants»?
Il ne faut donc pas s’étonner si Servet possède sa rue et un monument expiatoire, alors que Gruet n’a rien. Il a fallu l’énorme ouvrage sur Genève d’Amédée Roget, en 1870, pour que l’homme sorte de l’oubli. Que voulez-vous? L’histoire veut des martyrs respectables.
Tout est-il perdu pour l’oublié de 1547? Pas tout à fait. Comme le rappelle Bernard Lescaze, la phrase choisie pour orner un mur de cet espace libertaire que fut l’Ilôt 13, derrière la gare, est signée Gruet. «Si un homme veut manger son bien, les autres n’ont rien à y voir, et si je veux danser, sauter, mener joyeuse vie, qu’a à faire la justice?» (ed)

jeudi 15 octobre 2009

L'Unité des Frères moraves : l'antitrinitarisme d'avant la réforme


Dans le Théolib n°27 consacré à Faust Socin, j'ai été surpris par le titre de l'article de M. Blanchard-Gaillard L'Ecclesia minor des Frères polonais – la première église chrétienne non trinitaire des temps modernes.

Je ne m'étalerai pas ici sur le sens de l'expression « des temps modernes » dont la nature m'échappe quelque peu – je présume qu'il fait remonter ces « temps modernes » à la réforme initiée par Luther - mais plutôt sur « la première église chrétienne non trinitaire ».

Oui, car au moins une autre église a devancée l'Ecclesia minor (organisée vers 1565) dans son rejet de la Trinité, il s'agit de l'Unité des Frères moraves, communauté de sensibilité hussite qui fut non trinitaire et anabaptiste à ses origines.

L'histoire de celle-ci débute vers 1440 lorsque le tchèque Petr Chelčický, gagné aux idées de Jan Hus mais séparé des Hussites dont il dénonçait la violence, rédige Le filet de la foi.

Radical, Chelčický y enseigne que la guerre est incompatible avec le christianisme et qu'un disciple de Jésus doit se laisser guider par sa « loi » quelles qu'en soient les conséquences.

Chelčický était également proche des Vaudois mais la tiédeur de leur discours l'en avait écarté.

Le hussite Grégoire de Prague s'étant enthousiasmé par les thèses de Chelčický persuadera certains de son mouvement en 1458 de partir de chez eux pour le suivre à Kunwald où ils fonderont leur communauté religieuse.

Par la suite des groupes de vaudois tchèques et allemands les rejoindront.

La période de 1464 à 1467 marquera le développement de l’Unité des Frères qui tiendront plusieurs synodes.

C'est au cours de ceux-ci que les Frères définiront leur doctrine et la coucheront par écrit, textes qui seront compilés sous la forme d'une série de livres intitulés Acta Unitatis Fratrum.

En voici un extrait : “ Nous sommes déterminés à établir notre administration uniquement par la lecture et par l’exemple de notre Seigneur et des saints apôtres, dans le silence, l’humilité et la patience, en aimant nos ennemis, en leur faisant et en leur souhaitant du bien, et en priant pour eux. ”

Les Frères avaient l'esprit missionnaire et s'employaient à répandre le message évangélique aux autres par des visites qu'ils effectuaient souvent deux par deux à l'image de leurs amis Vaudois et surtout selon le modèle biblique (cf. Luc 10:1).

Mais en 1494 un schisme éclate au sein de l'Unité et les Frères se scinde en deux groupes, le parti majeur et le parti mineur.

Le parti majeur se voulait moins radical et tranchait en cela avec le parti mineur qui tenait fermement à sa neutralité politique.

Par ailleurs c’est le parti mineur qui demeurera non trinitaire.

Voici ce qu'a écrit l'un des membres du parti mineur : “ Les gens qui marchent sur deux routes ont peu de garanties qu’ils resteront avec Dieu, car ce n’est que rarement et dans de petites choses qu’ils sont disposés à se sacrifier et à se soumettre à lui, et dans les grandes choses ils font ce qui leur plaît. (...) C’est parmi ceux qui ont l’esprit ferme et une bonne conscience, qui suivent jour après jour le Seigneur Christ sur la route resserrée avec leur croix, que nous voulons être comptés. ”

Dans leur rejet de la Trinité les Frères du parti mineur voyaient le saint esprit comme la force de Dieu qu'ils appelaient son « doigt ».

Ils croyaient en la doctrine de la rançon que Jésus paya en offrant sa vie pour permettre aux hommes de se défaire du péché adamique.

Réformateurs avant l'heure ils s'étaient débarrassé du culte mariolâtre et avaient aboli le système clérical avec ses prêtres célibataires en le remplaçant par un système de ministres laïcs plus conforme au modèle apostolique.

Ils furent très critique envers les autres églises, notamment à cause de leur position anabaptiste.

A l'encontre de celles-ci, le parti majeur inclus, le parti mineur écrira : « Vous enseignez qu’il faut baptiser les petits enfants qui n’ont pas leur propre foi, a-t-il écrit, et en cela vous suivez ce qu’a institué un évêque appelé Dionysius, qui a encouragé le baptême des nouveau-nés à l’instigation d’insensés (...). Presque tous les enseignants et les docteurs font de même, Luther, Melanchthon, Bucer, Korvín, Jiles, Bullinger, (...) le parti majeur, qui tous trafiquent ensemble. »

L'un des dirigeants du parti mineur, Jan Kalenec, fut torturé par l'inquisition catholique en 1524 et trois autres finirent sur un bûcher.

On estime qu'entre 1500 et 1510 les Frères moraves auraient publiés cinquante des soixante livres qui l'ont été en Tchéquie durant ces dix années.

Les Frères moraves contribuèrent également à l'évolution de la traduction de la Bible en tchèque.

Après la mort des derniers Frères du parti mineur vers 1550, le rejet de la Trinité par cette communauté disparu complètement.

Ce qu'il reste aujourd'hui de l'Unité des Frères moraves est une église organisée sous le nom d'Eglise Morave mais intégrée dans la double tradition hussite et luthérienne.

Voici une liste de déclarations, rédigées par des dirigeants du parti mineur, s’adressant principalement au parti majeur :

Trinité : « Si vous regardez la Bible d’un bout à l’autre, vous ne trouverez nulle part que Dieu est divisé en une sorte de Trinité, trois personnes au nom différent, croyance que des gens ont imaginée de toutes pièces. »
Esprit saint : « Le saint esprit est le doigt de Dieu et un don de Dieu, un consolateur, la Puissance de Dieu, que le Père donne aux croyants sur la base des mérites du Christ. On ne lit nulle part dans les Saintes Écritures qu’il faut qualifier le saint esprit de Dieu ou de Personne ; cela ne figure pas non plus dans les écrits apostoliques. »
Prêtrise : « Ils vous donnent à tort le titre de ‘ prêtre ’ ; si vous enlevez votre tonsure et votre onction du doigt, vous n’avez rien de plus que le plus ordinaire des laïcs. Saint Pierre invite tous les chrétiens à être prêtres en disant : Vous êtes la sainte prêtrise qui offre des sacrifices spirituels (1 Pierre 2). »
Baptême : « Le Seigneur Christ a dit à ses apôtres : Allez dans le monde, prêchez l’Évangile à toute la création, à ceux qui croiront (Marc, chapitre 16). Et seulement après ces paroles : et en étant baptisés, ils seront sauvés. Or, vous enseignez qu’il faut baptiser les petits enfants qui n’ont pas leur propre foi. »
Neutralité : « Ce que vos premiers frères considéraient comme mal et impur, s’engager dans l’armée et tuer ou aller sur les chemins en portant des armes, tout cela vous le tenez pour bien. [...] Nous pensons donc que vous, comme les autres enseignants, ne regardez que de l’œil gauche les paroles prophétiques qui déclarent : Il a donc brisé la puissance de l’arc, les boucliers, l’épée et la bataille (Psaume 75). Et encore : Ils ne feront pas de mal ni ne détruiront dans toute ma montagne sainte, car la terre du Seigneur sera pleine de la connaissance divine, etc. (Isaïe, chapitre 11). »
Prédication : « Nous savons pertinemment qu’au départ les femmes ont amené davantage de personnes à la repentance que tout un groupe de prêtres avec un évêque. Et maintenant les prêtres se sont installés dans leur village et dans la résidence qui leur est allouée. Quelle erreur ! Allez dans le monde entier. Prêchez [...] à toute la création. »

Je vous donne ci-après les liens vers un très bon article dédié à cette communauté ainsi qu'une traduction en anglais du Filet de la foi de Petr Chelčický :

http://www.nonresistance.org/docs_htm/~Net_of_Faith/Net_of_Faith.html

http://www.ttstm.com/2009/09/september-10-petr-chelcicky-prophet.html

Bibliographie :

Victor-L. Tapié : Une église tchèque au XVe siècle : l'Unité des Frères (Librairie Ernest Leroux, 1934)

Joseph Macek : Jean Hus et les traditions hussites (Plon, 1973) - Chapitre V, section 5 "Pierre Chelčický" et section 6 "l'Unité des Frères".


mardi 4 août 2009

Les procès de Michel Servet et Pierre Fatio à Genève

Deux très bons articles sur les procès de Michel Servet et Pierre Fatio ont été publiés aujourd'hui dans le journal la Tribune de Genève.
http://www.tdg.ch/dossiers/geneve/grands-proces
Je les place à la suite de cette introduction en remerciant les auteurs.
Excellente lecture.

http://www.tdg.ch/actu/divers/1553-michel-servet-brule-vif-heresie-2009-08-03

1553, Michel Servet est brûlé vif pour hérésie

Grands Procès | L’Espagnol et Jean Calvin s’opposaient sur la Trinité. Un sujet dangereux à l’époque!


© (DR) | Servet au bûcher. Gravure hollandaise d'époque.

ÉTIENNE DUMONT | 03.08.2009 | 15:25

Août 1553. Un procès, que l’on sait extraordinaire, débute devant le Petit Conseil. Si l’accusation d’hérésie semble ressortir de l’Eglise, il s’agit là d’une affaire civile. L’Inquisition a disparu en 1535 de la ville, devenue République, laissant derrière elle un dernier mort. Cette année-là, un certain Pierre Gaudet a été brûlé aux portes de la cité.
L’accusé a 42 ou 44 ans. On ignore quand Michel Servet a vu le jour. Le nom est francisé. Il s’agit d’un Aragonais nommé Miguel Serveto y Revès. Ce «blasphémateur et hérésiarque» a été arrêté le 13 août. Il assistait au culte à la Madeleine. Quelques personnes ont reconnu dans la foule cet homme, connu pour ses écrits pour le moins polémiques sur la religion. Servet a été conduit à la prison de l’Evêché, souvent transformée par la suite jusqu’à sa démolition vers 1930. Elle se trouvait sur l’actuelle
terrasse Agrippa d’Aubigné.

L’évadé de Vienne

Servet est un homme en fuite. Il vient de s’évader d’un cachot de Vienne avec une facilité suspecte. Ce médecin a sans doute été aidé par un client haut placé, dont il a guéri la fille. En Dauphiné, il se trouvait dans les griffes de l’Inquisition. Les preuves contre lui semblaient accablantes. Il n’est pas impossible que Calvin ait aidé les catholiques contre l’ennemi commun en communiquant les lettres qu’il a reçues de l’Espagnol.
A Genève, le procès va se régler en huit séances. Il répond à une plainte formulée par
Nicolas de la Fontaine, qui est comme par hasard le secrétaire de Calvin. L’accusé devra répondre aux 38 articles de cette plainte, d’ordre théologique.

Tout commence dès le 14. Dans une audience préalable, Servet reconnaît la paternité des trois livres choquant les papistes et les protestants. La procédure peut donc commencer le 15. Servet demande un débat contradictoire avec Calvin. Le Conseil refuse. Il tient à garder la haute main sur les débats. En 1553, Calvin, qui n’a pas encore été reçu bourgeois, doit faire face à une forte opposition, menée par Ami Perrin. L’interrogatoire du 16 est d’ailleurs mené par Berthelier, un «libertin» frappé d’excommunication.

Le 17, Servet fait face à Jean Calvin, entendu comme expert. C’est la première fois que les hommes se voient. Vingt ans avant, ils auraient dû se rencontrer à Paris. La chose ne s’était pas réalisée. Ils n’ont fait depuis que correspondre. Le débat tourne vite à la dispute théologique. De tous les thèmes abordables, la Trinité l’emporte. Le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont-ils une ou trois personnes? On sait que depuis le IVe siècle, toutes les hérésies découlent de cette question centrale. Calvin attaque très fort. Servet fait front.

Dispute par écrit

Le 21 août, il est question du procès de Vienne, avant que l’on s’envoie à la tête des penseurs comme Origène, Tertullien ou Polycarpe. Le mémorialiste de la séance commence à y perdre son latin. Le Conseil, qui garde, lui, les pieds sur terre, décide d’écrire à l’Inquisition viennoise pour connaître son dossier d’accusation. On aura tout vu! Le 22 août, Servet s’adresse lui à la Seigneurie. Il remet en cause la criminalisation de l’hérésie. S’agit-il vraiment d’un délit?

Le 23, Servet dresse sa biographie. Il explique in fine avoir eu l’intention d’aller à Naples. Le 28, il doit répondre sur sa sympathie pour un ouvrage aussi suspect que le Coran. «D’un méchant livre, on peut prendre de bonnes choses.» Le 31 août, on revient au procès de Vienne. L’Inquisition a envoyé paître Genève. Elle ne transmettra rien.

Les choses sérieuses recommencent le 1er septembre. On est reparti pour les hautes spéculations religieuses. Le secrétaire déclare forfait. Il n’y comprend plus rien. Il faut continuer par écrit. Calvin et Servet vont échanger des textes incroyablement savants produits à toute vitesse et, pour Servet, dans des conditions épouvantables même s’il n’a pas été torturé. Quand on voit ces documents, on ne peut qu’être frappé par l’écriture parfaite du condamné en puissance.

C’est terminé, mais le plus long reste à venir. Si pour Calvin «ce chaos prodigieux de blasphèmes ne mérite aucun pardon», le Conseil veut l’approbation des cantons réformés. Il n’entend pas être seul responsable d’une telle exécution. Il faudra le 18 octobre pour les avoir enfin réunis. Le 26, Servet est condamné à mort. Calvin aurait aimé une décapitation. Ce sera le bûcher. L’exécution est fixée au lendemain, vendredi 27 octobre.

(dr)
La dernière lettre du condamné. La graphie est, pour l’époque, totalement moderne, contrairement à celle de Calvin.



Une exécution épouvantable

Le matin du 27, muni d’une autorisation du Petit Conseil, Calvin va voir Servet à la prison de l’Evêché. C’est la dernière entrevue. Déjà affaibli, le prisonnier a reçu la sentence avec stupeur. La veille, il a piqué une crise de nerfs.
L’Espagnol s’est repris entre-temps. Il parvient à avoir avec celui qui est devenu son ennemi une dernière argumentation théologique de deux heures. Il ne cédera pas. Du reste, pour lui, le crime de pensée n’existe pas. Servet, comme Sébastien Castellion, qui prendra bientôt sa défense depuis Bâle, est un homme moderne, alors que Calvin reste un personnage du Moyen Age.
Le réformateur s’en va. Il n’assistera pas à la suite. Le cortège peut partir en direction de Champel. Servet ira à pied, sans lien d’aucune sorte. Sa langue n’a pas été coupée, comme l’est souvent celle des hérétiques. Chacun espère en fait qu’il va se dédire. S’il reconnaissait son erreur, ça arrangerait vraiment tout le monde.
Tel n’est pas le cas. Servet sera donc brûlé réellement vif. Nul ne l’étranglera discrètement pour abréger ses souffrances, comme la chose se fait souvent. L’homme mettra une demi-heure à mourir au milieu des flammes, attaché à un pieu par une chaîne de fer. Ses derniers mots sont «O Jésus fils du dieu éternel, aie pitié de moi.» Guillaume Farel, venu de Neuchâtel, note qu’il lui aurait suffi de dire «Jésus fils éternel de Dieu» pour se voir sauvé à la dernière minute.



Un cas (presque) unique à Genève

❚ Si l’on parle de «l’affaire Michel Servet» à Genève, alors qu’il reste simplement question d’Inquisition pour les pays catholiques, c’est à cause du caractère véritablement unique du procès de 1553.
❚Créé au Moyen Age, réactivé par le pape Paul III en 1542, ce tribunal ecclésiastique a fait des milliers de morts. Peut-être des dizaines de milliers. Personne ne s’accorde sur les chiffres. En Espagne, où elle a été introduite en 1479, l’Inquisition a vite fait peur au pontife Sixte IV lui-même. Elle s’y maintiendra par ailleurs longtemps. Il faudra attendre 1834 pour que cet appareil de terreur disparaisse définitivement. Au Portugal, le dernier bûcher religieux date de 1761, ce qui semble incroyablement tard. Mais la péninsule Ibérique, pour reprendre le mot cruel de Régis Debray, ne constituait-elle pas alors «l’arrière-cour de l’Europe»?
❚ Genève ne connaîtra jamais un système répressif aussi organisé. Le Consistoire sera là pour excommunier, amender et réprimander, certes, mais sans rôtir les hérétiques. Notons cependant l’affaire du libre-penseur Jacques Gruet, en 1547, et celle de Nicolas Antoine, converti au judaïsme, en 1632…
❚Cela ne signifie pas que la justice ait échappé chez nous aux préjugés de l’époque. Des bûchers, il s’en dressera en plein XVIIe siècle pour les sorciers (et surtout les sorcières!). On ira jusqu’à emmurer vivants, au temps de Calvin, des personnes accusées de bouter la peste. C’est dire…



Un mort qui prend de la place
❚ En octobre 1553, Jean Calvin pensait en avoir fini avec son adversaire Michel Servet. Il n’en était rien. Très vite, des voix dissidentes se font entendre, dont celle de Sébastien Castellion. Le réformateur devra beaucoup écrire afin de se justifier. «L’affaire Michel
Servet» ira jusqu’à envahir son «Institution de la religion chrétienne», le livre qu’il reprend et réédite sans cesse.
❚ D’une manière plus perverse, l’exécution par le feu de l’Espagnol arrange bien les catholiques. Elle prouve qu’il n’y a pas de différence, du moins sur ce plan-là, entre les deux religions. Cette manière de les renvoyer dos à dos sera souvent reprise en France après la Révocation de l’Edit de Nantes en 1685.
❚ On dira qu’un mort face à des milliers, c’est peu, même si cela reste un de trop. Dans son ouvrage «Michel Servet, Du bûcher à la liberté de conscience» (Editions de Paris, 2009) auquel sont empruntés nombre de renseignements publiés dans cette page, le pasteur genevois Vincent Schmid parle avec raison d’«innocence perdue». Le protestantisme a désormais du sang, ou plutôt des cendres, sur les mains.
❚Cet éternel retour de Servet dans le débat d’idées aboutira logiquement, en 1903, au monument expiatoire à Champel. L’Espagnol aura sa rue. Une chose inconcevable ailleurs. A ce qu’on sache, la France n’en a accordé aucune à Etienne Dolet ou à Anne du Bourg, les plus célèbres martyrs religieux de l’époque.

http://www.tdg.ch/actu/divers/geneve-oligarchique-sacrifie-pierre-fatio-1707-2009-08-03

La Genève oligarchique sacrifie Pierre Fatio en 1707

Histoire | L’avocat des «malintentionnés» progressistes est accusé d’un complot imaginaire.


© DR | Pierre Fatio. Portrait présumé par le peintre genevois Robert Gardelle. On n’est pas sûr d’y avoir identifié les traits de l’homme de 1707.

ÉTIENNE DUMONT | 04.08.2009 | 00:00

Le procès qui débute à Genève le 18 août 1707 est de nature politique. Tout le prouve. De son arrestation la veille à son exécution le 6 septembre, Pierre Fatio ne pourra pas voir sa famille. Un avocat est refusé à l’accusé, lui-même avocat. L’homme ne dispose ni de papier ni d’encre pour écrire. La tension est telle que le Genevois mange des œufs à la coque, par crainte de se voir empoisonné.

Mais ce qui frappe le plus, c’est la minceur du dossier. Comme l’expliquent bien Olivier et Nicole Fatio dans Pierre Fatio et la crise de 1707 (Labor et Fides, 2007), le Petit Conseil «compte sur les réponses de Fatio pour reconstituer les faits qui lui seront imputés». Les chefs d’accusation restent inexistants. Le gouvernement veut punir le chef des «malintentionnés» pour des actes couverts par une amnistie qu’il a lui-même accordée.

Comme au cinéma, un grand flash-back s’impose ici. Tout a commencé le 2 janvier. Nous sommes à Saint-Pierre. Plus de mille citoyens sont réunis pour élire, comme de coutume, les syndics. Les dés sont en réalité pipés. Le Conseil général enregistre l’élection. Il peut au maximum rejeter un candidat. Le peuple souverain ne peut cependant pas en proposer.

Le toilier de Longemalle

C’est à ce moment que se manifeste François Delachana. On le retrouvera tout au long de l’histoire. Ce toilier de Longemalle veut formuler des revendications. Fatio l’en dissuade. «Il faut agir ensuite.» Delachana est le véritable auteur des idées qui seront ensuite imputées à Fatio, qui deviendra peu après l’avocat des factieux. Il veut que le Conseil des Deux Cents s’élise lui-même, au lieu de se voir désigné par le Petit Conseil. Il demande le bulletin secret pour les élections du Conseil général. Il exige que les lois soient publiées. Et de limiter le nombre des membres d’une même famille dans les Conseils afin de mettre un terme à la domination de la République par des clans.

Ces idées, qui nous semblent aujourd’hui assurer un minimum de démocratie, affolent l’oligarchie en place. Pour ses membres, elles visent ni plus ni moins qu’à renverser les institutions. Cette aristocratie de fait (et non de droit), à laquelle appartient la vaste famille Fatio (1), se sent en plus blessée dans sa gestion. En bons pères de famille, les Conseils ne veulent-ils pas le bonheur et la prospérité de toute une population, quitte à la laisser dans une perpétuelle enfance? «Grâce à nous, Genève n’a connu ni guerre ni véritable crise depuis plus de cent ans.»

N’empêche que la révolte enfle et se prolonge. Il y a d’abord des conciliabules puis des manifestations. On en vient aux insultes et aux mains. Certains manquent de passer au Rhône. Le Conseil général exceptionnel si attendu a pourtant été réuni. Les factieux ont obtenu des Conseils plusieurs satisfactions le 26 mai: limitation des membres d’une famille, publication des lois, convocation d’un Conseil général quinquennal…

Mais déjà le mouvement libertaire s’essouffle. Plusieurs de ses membres se sont ralliés à l’oligarchie contre des promesses personnelles. Les troupes alémaniques sont intervenues, ce qui deviendra une habitude. Le «résident» imposé par Louis XIV ne prêche évidemment pas l’indulgence. L’Europe vit dans l’absolutisme.

Une répression s’impose donc, en dépit de l’amnistie. Il suffit pour cela d’inventer un complot. Il existe pour l’oligarchie quatre grands coupables: Piaget (qui se noiera en fuyant la ville), Lemaître (pendu le 23 août), Fatio et bien sûr Delachana (banni à vie le 24 août). Un papier «séditieux» de Delachana a été trouvé dans une poche de Fatio. Voilà qui tombe bien!

Exécution secrète

Dans ses deux interrogatoires, ce dernier se défend assez mollement. On s’attendait à des déclarations foudroyantes. Rien! Fatio semble retombé comme un soufflé. Il se contente de répondre aux questions sur les visites, fatalement suspectes, qu’il aurait reçues depuis la fin mai.

Le 31 août, le Petit Conseil rend son jugement. Fatio se voit condamné, sans preuves, à mort. Comme l’écrira le 10 décembre son cousin Nicolas Fatio de Duillier, «l’avocat Fatio pourrait bien avoir été sacrifié non pas tant pour les crimes commis que pour ceux que l’on craignait qu’il pourrait faire un jour».

Restait à exécuter le malheureux, devenu indifférent à son sort. Impossible de le faire en public. Fatio sera arquebusé assis, dans une cour de la prison de l’Evêché, au mépris des lois. Il ira au supplice «comme à une promenade», diront les témoins. Notons qu’en bon Genevois, l’homme avait demandé à mettre sa vieille perruque au lieu de la neuve. N’abîmons pas une chose pouvant encore servir…

(1) Les parents de Pierre Fatio ont eu 24 enfants.

Un système politique complexe

❚ En 1707, tous les Genevois sont loin de se trouver à égalité. Au sommet de la pyramide se trouvent les citoyens (pour Rousseau, «citoyen de Genève» constitue un titre de gloire, et non de modestie), issus de gens ayant acquis la bourgeoisie au moins une génération avant. Eux seuls osent participer aux affaires publiques. En dessous se trouvent, sans droits, les habitants, les natifs et, plus bas encore, les paysans sujets.

N’oublions pas que le servage reste très présent en Europe au XVIIIe siècle. Vu le nombre des réfugiés protestants et de leurs enfants, les citoyens représentent une part toujours plus faible de la population.

❚ Théoriquement, contrairement à Berne ou à Zurich, le pouvoir appartient au Conseil général, formé de tous les citoyens mâles de plus de 25 ans (on est alors majeur à 25 ans). Pour l’oligarchie en place dès la fin du XVIe siècle, ce pouvoir a cependant été délégué une fois pour toutes aux Conseils restreints.

❚ Ces Conseils sont deux. Le plus important est le Petit Conseil, qui choisit les membres du Conseil des Deux Cents. On parle d’«emboîtage». Le principal problème est que tout le monde reste étroitement apparenté. On ne compte plus les frères, beaux-frères et a fortiori cousins siégeant côte à côte. C’est en cela qu’on peut parler d’une aristocratie, même si les titres de noblesse (étrangers) restent très rares à Genève.

La Maison Buisson. Symbole du patriciat, elle est construite à partir de 1699. (DR)

La répression de l’automne 1707

❚ Paternalistes, les Conseils de 1707 avaient donc dû céder en mai à ce qu’ils considéraient comme une révolte enfantine. Il convenait, après les exécutions de Pierre Fatio et de Nicolas Lemaître, de jouer les pères fouettards. La répression, qu’Olivier et Nicole Fatio qualifient dans leur excellent livre d’«épuration», sera continue durant l’automne 1707. Peu d’acteurs, même très mineurs, des événements du printemps se verront ainsi oubliés.

❚ A quoi condamne-t-on? Pas à mort, bien sûr. Si injuste et si peu démocratique qu’elle puisse nous sembler, la Genève d’alors n’est ni la France de Louis XIV ni, a fortiori, la Russie de Pierre le Grand. Le gouvernement se contente donc d’amender, de «mettre en prison à domicile» ou de bannir pour des périodes allant de quelques années à la perpétuité, comme c’est le cas de Dechanna, dont l’importance se révèle à nos yeux plus grande que celle de Fatio. Les Conseils peuvent aussi jouer sur la suppression de la bourgeoisie, qui correspond à un anéantissement social.

❚ Les promesses du 26 mai seront-elles tenues? Oui, pour l’ouverture des Conseils. Oui, pour la tenue du Conseil général. Mais attention! En biaisant. Le Conseil général de 1712 déclarera ainsi «volontairement» qu’il cesserait de se réunir. Cet organe médiéval sera ressuscité une dernière fois en 1846, pour entériner la révolution radicale de James Fazy.

La prison de l’Evêché. Croquis avant la démolition, intervenue en 1840. (DR)

Pendant ce temps l’Eglise se détend

❚ Existe-t-il des coïncidences en histoire? La place manque (heureusement) pour ouvrir le débat. On ne peut néanmoins qu’être frappé par une chose. Au moment où la Genève politique se rigidifie en 1707, l’Eglise protestante se détend.

❚ A la mort de Calvin, Théodore de Bèze (décédé à 86 ans en 1605) s’était fait le gardien de l’orthodoxie. L’Eglise protestante s’était vue momifiée et surtout rigidifiée. Tout pasteur, avant de s’engager dans le ministère, devait signer un «consensus». Correspondant de Leibnitz, ami de Bayle, le théologien genevois Jean-Alphonse Turettini luttera pour obtenir sa suppression en 1706. Désormais, les pasteurs (et donc leurs ouailles) gardent une pleine liberté de conscience. L’accord se fait sur quelques dogmes, comme l’avait recommandé au XVIe Sébastien Castellion. A chacun d’interpréter, selon ses idées, «les points obscurs».

❚ L’idée de Turettini était la réconciliation des communautés réformées. Un résultat fut très rapide. En 1707, les luthériens purent ouvrir leur église (sans clocher!) au Bourg-de-Four.

❚ Notons qu’un acteur des troubles de 1707 bénéficiera du maintien des dogmes de base. André-Robert Vaudenet déclare en mai qu’il ne croit pas que Jésus fut le fils de Dieu. Après admonestations, le Genevois se voit cassé de sa bourgeoisie, mais on lui permet sans l’inquiéter d’habiter à Vésenaz, en Savoie. A l’étranger donc.

L’église luthérienne. Ouverte au Bourg-de-Four (mais sans clocher!) dès 1707. (Frautschi)

dimanche 19 juillet 2009

Exode 3:14 – Le temps d'un nom

S'il est un texte de la Bible où puiser pour connaitre la signification du Nom du Dieu d'Israël et par extension du peuple chrétien, c'est bien le passage d'Exode 3:14.
La plupart des versions de la Bible rendent l'hébreu « Ehyeh asher ehyeh » dans ce verset par « Je suis ce que je suis » ou « Je suis qui je suis ».
Mais certaines éditions, anciennes comme récentes, donnent soit dans le texte soit en note une traduction différente.
En voici quelques exemples, il s'agit naturellement d'une liste non exhaustive :

« Je serais : je suis » (Nouvelle traduction Bayard),
« Je suis qui je serai » (TOB),
« Je suis qui je serai » (Français courant, note),
« Je serai qui je serai » (Osty, note),
« Je serai ce que je serai » (Traduction du monde nouveau, français 1995),
« Je serai qui serai » (La Bible nouvellement translatée par Sébastien Castellion, 1555)
« Èhiè ashèr èhiè! – Je serai qui je serai » (Chouraqui),
« I will be what I will be » (The Bible - A new translation by James Moffatt),
« I will be what I will be » (The Bible in living English by Steven T. Byington),
« I am who I am and what I am, and I will be what I will be » (The Amplified Bible)
« I will be that I will be » (Isaac Leeser)
« I will be what I will be » (Living Bible Edition, note)
« I will be what I will be » (New International Version, note)
« I will be what I will be » (New Living Translation, note)
« I will be what I will be » (English Standard Version, note)
« I will be what I will be » (Contemporary English Version, note)
« I will be what I will be » (Holman Christian Standard Bible, note)
« I will be what I will be » (Today's New International Version, note)
« Ik zal zijn die Ik zijn zal » (Bijbel - De Statenvertaling)
« Yo seré el que seré » (Nueva Versión Internacional, note)

Certains traducteurs tel Samuel Cohen choisissent de ne pas traduire du tout les mots plaçant l'hébreu « Ehyeh asher ehyeh » au milieu du texte français ce qui donne « Heie qui (est) Heie », une phrase incompréhensible pour le commun des mortels.

D’autre choisissent, non de traduire le texte littéralement, mais d’en interpréter le sens telles Zadoc Kahn « Je suis l’Etre invariable ! », The Emphasized Bible de Joseph B. Rotherham « I Will Become whatsoever I please » (en français « Je deviendrai ce qui me plaît ») ou encore la Traduction du monde nouveau en anglais (1984) « I shall prove to be what I shall prove to be » (en français selon la version de 1974 « Je me révélerai être ce que Je me révélerai être »).

Mais la plupart des versions conservent la forme « Je suis » dans le texte.
On trouve parfois aussi « Je suis celui qui suis » ou encore « Je suis : Je suis ».
La leçon « Je suis qui je suis » a été popularisée en latin par Saint Jérôme (ego sum qui sum).

Cette leçon s’inspire de la Septante qui donne « égô éïmi o ôn » c'est-à-dire mot à mot : « Je suis l’étant » c'est à dire « Je suis celui qui est, qui existe de lui-même ».
Pourquoi les juifs de langue grecque ont-ils choisi de traduire ce passage au présent alors que l’hébreu suggère qu’on le traduise au futur ?

Antoine Fabre d’Olivet n’hésitait pas à dire que les juifs du temps d’Esdras, qui parlaient en araméen, n’ « entendaient plus leur langue maternelle », c'est-à-dire n’avaient plus une compréhension aigüe et subtile de l’hébreu parlé par Moïse. (La langue hébraïque restituée, première partie - dissertation introductive, III)
Si c’était la vérité pour les juifs du retour d’exil ce serait encore plus vrai pour ceux de la diaspora qui s’exprimaient en grec.
Mais il y a une raison plus évidente encore.

Lorsque les juifs d’Alexandrie ont traduit leurs livres saints en grec ils avaient commencé à accepter certaines des croyances propres à la philosophie hellénistique notamment la croyance en l’immortalité de l’âme dite métempsychose – cf. Platon, Phédon.
Les rabbis de la synagogue qui partageaient cette croyance grecque formeront plus tard le groupe des pharisiens – cf. Flavius Josèphe, Histoire ancienne des Juifs, 18, II (selon la division d’Arnauld d’Andilly).
Imprégnés du monde philosophique ils concevaient leur Dieu à la façon de Platon.
Ce dernier voyait en la Divinité la cause motrice, l'essence suprême, l’idée, qu'il appelle indifféremment l'un, l'être ou le bien.
Les juifs d’Alexandrie ont pensés avant les pères de l'Église que Platon avait pressentie le Dieu unique et ont intégrés ses idées à leur intelligence de l'Écriture.
C'est le philosophe juif alexandrin Philon qui sera le principal représentant de cette mouvance judéo-platonicienne.
C’est pourquoi il ne faut pas voir l’Exode 3 :14 de la Septante comme une traduction mais plutôt comme une interprétation philosophique de la révélation du Nom divin.
Les partisans de la forme « Je suis ce que je suis » invoquent le choix retenu par les traducteurs de la Septante* et la transcendance divine, un Dieu « qui est » par opposition aux autres dieux « qui ne sont pas » résidant uniquement dans l’imaginaire des hommes qui leur vouent un culte.

*Un pasteur américain de l'Église Protestante Évangélique me dit un jour ironiquement : « Ceux qui ont réalisés la Traduction du Monde Nouveau sont (sous-entendu « se croient ») plus fort que les juifs qui ont traduit en grec ! ». Que penser alors des lettrés qui ont fait les mêmes choix de traduction ?

Pourquoi partout « je serai » et une seule fois « je suis » ?

Dans son Examen critique des doctrines de la religion chrétienne* (1860) Patrice Larroque, ancien recteur de l'académie de Lyon, nous offre une extraordinaire dissertation sur le passage d'Exode 3:14.

Je suis à chaque fois navré que la Trinité paraisse être considérée comme étant un dogme universellement reconnu par l'ensemble des confessions chrétiennes car cela n'est en rien le cas comme l'histoire l'a mainte fois démontrée et comme c'est encore moins le cas depuis le IXXème siècle.

Mais ce n'est évidement pas ici l'affaire de M. Larroque de s'étendre sur la question de l'acceptation universelle ou non de la Trinité mais plutôt d'en démontrer l'absurdité au Tome I et d'exposer ses conclusions concernant ce qu'il qualifie d'incident en Exode 3:14 au Tome II.
Il affirme que « le texte primitif, traduit exactement, signifie : « Je serai celui qui serai... JE SERAI m'a envoyé vers vous ».
Puis suit une très longue note explicative qui est en elle-même un véritable cours de grammaire hébraïque où l'on peut lire entre autre que « l'interprétation reçue par les théologiens est l'œuvre des Septante d'abord (…) puis de Saint Jérôme qui a partagé leur infidélité » et qu'un très grand nombre de textes bibliques indiquent que le rabbin et traducteur de la Bible Samuel Cahen se trompe en affirmant que « Ehyeh indique aussi bien le présent que le futur ».
L'auteur nous fourni une bonne vingtaine de versets où « Ehyeh » est traduit partout par « je serai » à commencer par Exode 3:12.
Il affirme n'avoir trouvé l'hébreu « Ehyeh » que « presque toujours employé avec la signification du futur, rarement avec celle du passé (...) mais jamais avec celle du présent ».
Il conclu sa note, longue de 3 pages, par ces mots : « Il y a donc lieu de s'étonner que ce passage soit le seul où le mot Ehyeh ait eu cette acception. »

Quand à moi, j'ajouterai qu'on peut se demander comment l'ensemble des traducteurs au fil des siècles aient pu traduire « Ehyeh » par « je serai », non seulement dans l'ensemble de la Bible mais encore au verset 12 d'Exode chapitre 3, et n'être plus en mesure de le faire au verset 14 ?

*Vous trouverez les deux volumes complet sur le site de la BNF.

Y a t il un rapport entre le « Ehyeh asher ehyeh » d'Exode 3:14 et « ego eïmi » dans la bouche de Jésus ?

Depuis longtemps le prologue de l'évangile de Jean n'est plus l'argument préféré des partisans de l'égalité entre Jésus et son Père.
On y préfère aujourd'hui la formule « je suis » chaque fois que Jésus l'emploi.
Les trinitaires croient y trouver la preuve que Jésus cherche à émettre un parallèle entre son identité humaine et sa divinité.
Selon eux chaque fois qu'il dit « je suis » il se présente comme celui qui s'adressa à Moïse, « ’Él Shadday », le Dieu Tout-Puissant des juifs (cf. Genèse 17:1 et Exode 6:2, 3).
Or presque chaque fois que Jésus dit « égô éïmi » le contexte indique qu’il fait allusion à son identité de Messie et non qu'il soit Dieu.
C’est la raison pour laquelle dans de nombreux passages il convient de traduire l’expression grecque par « je le suis ».

Cela ressort clairement dans sa conversation avec le femme samaritaine consignée en Jean 4:1-29 :
La femme lui dit: "Je sais qu’un Messie doit venir–celui qu’on appelle Christ. Lorsqu’il viendra, il nous annoncera toutes choses." Jésus lui dit: "Je le suis, moi qui te parle." - TOB

En Jean 8:24-29 encore le contexte indique qu'il parle de sa fonction d'envoyé de Dieu :
C’est pourquoi je vous ai dit que vous mourrez dans vos péchés ; car si vous ne croyez pas ce que je suis, (littéralement « que je suis » Ndlr) vous mourrez dans vos péchés. Qui es–tu ? lui dirent–ils. Jésus leur répondit : Ce que je vous dis dès le commencement. (le commencement de sa prédication, qu'il était le Messie ! Ndlr) (…) Jésus donc leur dit : Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous connaîtrez ce que je suis, et que je ne fais rien de moi–même, mais que je parle selon ce que le Père m’a enseigné. - Segond

Aux versets 24 et 28 Darby et la Bible annotée rendent « égô éïmi » par « c'est moi », Ostervald par « ce que je suis » et « qui je suis », Crampon par « je suis le Messie ».
Étonnamment la TOB, la Bible de Jérusalem ou la Bible à l'Épée préfèrent nous servir la formule d'Exode 3:14 « Je Suis » et avec majuscule s'il vous plait pour bien faire ressortir qu'ici Jésus s'identifie au Dieu d'Israël. La Bible à l'Épée de Jean Leduc va même jusqu'à ajouter au verset 24 « JE SUIS l'Éternel » !

Et que dire du cas où Jésus fait allusion à son ancienneté par rapport à Abraham ?

En Jean 8:58 Jésus déclare :

En vérité, en vérité, je vous le dis: Avant qu’Abraham fût, je suis (« Je Suis » dans TOB et Jérusalem, « JE SUIS » dans Épée).

Pourtant un certain nombre de manuscrits anciens qui nous sont parvenus allant du IVème au VIème siècle en syriaque, géorgien et éthiopien, font dire à Jésus « J'ai été » ou « j'étais ».

Voici ce que dit G. Winer dans son ouvrage A Grammar of the Idiom of the New Testament (Andover 1897, 7e éd., p. 267) : « Quelquefois le présent comprend aussi un passé (Mdv. 108), c’est-à-dire quand le verbe exprime un état qui a commencé à tel moment antérieur mais qui se prolonge encore — un état dans sa durée ; comme en Jn xv. 27 ἀπ’ ἀρχῆς μετ’ ἐμοῦ ἐστέ [ap’ arkhês mét’ émou ésté], viii. 58 πρὶν ᾿Αβραὰμ γενέσθαι ἐγὼ εἰμι [prin Abraam génésthaï égô éïmi]. »

De même, voici ce que disent J. Moulton et N. Turner dans A Grammar of New Testament Greek (Edinburgh 1963, vol. III, p. 62) : « Le présent qui indique la continuation d’une action pendant le passé et jusqu’au moment où l’on parle est pour ainsi dire une forme verbale perfective ; la seule différence c’est que l’action se conçoit comme étant encore en cours (...). On le rencontre souvent dans le N[ouveau] T[estament] : Lc 248 ; 137 (...) 1529 (...) Jn 56 ; 858 (...). »

Quand à ceux qui pensent que « égô éïmi », dont l'équivalent hébraïque est « ’ani hou’ », expression utilisée par Dieu dans l'Ancien Testament, puisse dans la bouche de Jésus servir à s'identifier avec le Dieu d'Israël chaque fois qu'il l'emploie, qu'ils scrutent et ils verront que cette expression peut autant servir à Dieu qu'aux hommes comme cela ressort clairement en 1 Chroniques 21:17 où l'on peut lire :

Et David dit à Dieu: "N’est–ce pas moi qui ai dit de faire le dénombrement du peuple? C’est moi (Littéralement : « et je suis lui », hébreu : « wa’ani-hou’ », grec : « égô éïmi » Ndlr) qui ai péché et qui ai fait le mal; mais celles–là, ces brebis, qu’ont–elles fait? Yahweh, mon Dieu, que votre main soit donc sur moi et sur la maison de mon père, mais non sur votre peuple pour sa ruine." - Crampon

lundi 29 juin 2009

La Bible de Castellion contre l'ignorance et pour la paix


La Bible de Castellion est surprenante pour plus d'une raison.
Bien que ce père de liberté de conscience fut un protestant, il a voulu offrir aux lecteurs de la Sainte Écriture plus qu'une œuvre pour servir à la foi.
Elle n'est pas plus destinée au lecteur protestant qu'au lecteur catholique.

Elle est avant tout une présentation du livre par excellence, véritable patrimoine de l'humanité, sous toutes les formes dans lesquelles il fut transmis au fil des siècles.
Ainsi elle englobe le canon juif officiel retenu par la Réforme mais aussi certains livres qu'ont transmis les versions grecques et latines anciennes, connus sous les noms d'apocryphes (ou deutérocanoniques pour les seuls livres présents dans les versions catholiques produites après le concile de Trente).
Il en conserve mêmes certains que ne retiendra pas le concile catholique de Trente (1545-1563) probablement parce qu'en 1555 lorsqu'il publie sa Bible en français certains livres n'avaient pas encore été écartés de la Vulgate et parce que, tant sur le plan de l'édification spirituelle que sur le plan historique, ils font partie du patrimoine religieux juif qui aboutira à ce que l'on nome vulgairement la Bible.

Il ne remet pas en question le travail de ceux qui l'ont précédés dans la traduction de la Bible mais il la présente sous une forme nouvelle, littéraire et historique.
« Imparfaite » dans sa continuité chronologique, Castellion comble deux vides existant, l'un entre le retour d'exil babylonien et la révolte maccabéenne, l'autre allant de la mort de Simon Maccabée à la naissance du Christ par des extraits des Antiquités judaïques et de La guerre des Juifs de Flavius Josèphe, en n'omettant pas de signaler que ces parties ne sont en rien à ajouter au reste des livres divinement inspirés.
Elle est sous ce rapport unique en son genre.

Cette Bible pour tous il la préface à l'attention du roi de France Henri II, roi catholique.
En 1547 c'était au très jeune roi Édouard VI d'Angleterre, pays protestant depuis que son père a rompu avec Rome, qu'il avait dédié sa Bible latine.
Il y a toujours eu une volonté extraordinaire et acharnée chez Castellion d'apaiser les tensions existantes entre chrétiens de tous bords comme en témoignent son Conseil à la France désolée ou encore son Traité des hérétiques.
Une Bible à usage privé, pédagogique, commune aux catholiques et aux protestants, telle semble être le résultat des travaux de traductions en latin et en français de Sébastien Castellion qui fut avant tout un enseignant et en fait jamais un ministre du culte, bien qu'il faillit l'être juste avant son bannissement de Genève.

Il faut encore souligner que son principal souci lorsqu'il traduit en français est de permettre aux gens sans instruction de lire et comprendre la Bible avec un minimum de notes explicatives.
L'aventure n'est pas sans risque.
Bien souvent Castellion croit, en puisant dans le français du Dauphiné, offrir des mots que tout le monde en France entendra mais cela ne sera pas toujours le cas.
Mais après tout Luther n'en avait-il pas fait autant dans son Allemagne décentralisée aux multiples dialectes ? (Luther est considéré comme le père de la langue allemande moderne)

Que Castellion maitrise parfaitement les subtilités de la grammaire hébraïque ressort clairement de la traduction de certains textes dont le très controversé Exode 3:14 où il rend « Ehyeh asher ehyeh » par « Je serai qui serai », un choix surprenant attendu que l'ensemble des traducteurs de son temps préfèrent les leçons de la Septante et de la Vulgate qui rendent la phrase au présent.

Cette Bible, il n'y a qu'un seul obstacle qui risquerait d'en interdire la lecture : son prix ! (170,- €)
C'est un paradoxe quand on sait que Castellion destinait sa traduction aux « idiots », gens du peuple sans grande instruction et par conséquent sans grande fortune...

A lire également, l'excellent article de M-C Gomez-Géraud, professeur à la Sorbonne :
« Traduire et translater – La Bible de Sébastien castellion »
http://www.paris-sorbonne.fr/fr/IMG/pdf/6._Article14_Gomez-Geraud__version_definitive_.pdf

lundi 8 juin 2009

Servet dans un film documentaire


CLC Production, France 3 Rhône-Alpes Auvergne et le Centre de cinématographie ont produit un film documentaire en 2005 réalisé par George Combe d'après un scénario d'André Trabet, dont le titre est :

Vienne cité sainte et maudite - De Ponce Pilate aux Templiers

En réalité ce film retrace l'histoire de Vienne depuis un peu avant, l'époque de l'installation des Celtes, jusqu'à un peu au delà, le temps de la Réforme.

On y retrouve un passage, trop court malheureusement, consacré à Michel Servet.

On peut y voir en chair et en os l'écrivain et biographe de Servet, Pierre Domeyne¹, commentant cette partie du film consacré au martyr de Genève.

Le DVD est disponible sur le site des Voyageurs du temps qui ont réalisé le casting et fourni costumes et accessoires :

http://www.voyageurs-du-temps.com/fiche.php?menu=boutique&vente+de+LIBRAIRIE+%2F+CD+%2F+DVD=DVD+-+VIDEOS+DVD001+-+DE+PONCE+PILATE+AUX+TEMPLIERS&produit_id=161

¹ Pierre Domeyne est l'auteur de la biographie Michel Servet : Au risque de se perdre.

Voir sur ce blog l'article du 1er mai Quel panthéisme chez Michel servet ?

http://libertedecroyance.blogspot.com/2009/05/quel-pantheisme-chez-michel-servet.html

mardi 5 mai 2009

Oeuvres d'art et objets consacrés à Servet

On peut retrouver l'ensemble des œuvres picturales et sculptées sur le site de l'Institut Michel Servet : http://www.miguelservet.org/servetus/iconography.htm
ainsi que sur celui de la Servetus International Society : http://www.servetus.org/en/michael-servetus/image-gallery/iconography/index.htm



Capsule de bouteille de la collection "Personajes" réalisée pour "El cava de Aragon".

(collection de l'auteur du présent blog)




Buvard d'écolier antérieur à 1968, probablement commandé par le gouvernement et réalisé par André Lorulot, imprimeur-éditeur à Herblay (ex-département de Seine et Oise aujourd'hui Val d'Oise).

On y retrouve les portrait de Servet, Jean Jaurès et Jules Ferry.
Les textes invites l'écolier à s'instruire et à embrasser les valeurs de la république laïque tels que le respect de l'autre et la liberté de conscience.



Deux articles ont été consacrés à ce buvard sur les blogs de l'AFCU suite à mon envoi des documents scannés : http://actua.unitariennes.over-blog.com/article-15626647.html
http://labesacedesunitariens.over-blog.com/article-15625835.html

(collection de l'auteur du présent blog)





Caricature anti-calviniste. Ce triptyque anonyme est tout à fait semblable à la gravure hollandaise que donne Vincent Schmid dans son livre "Michel Servet - Du bûcher à la liberté de conscience". L'auteur m'a fait remarquer que ma planche semble être "un mélange d'éléments provenant de la gravure de 1566 et de l'arrière-plan de la gravure de Van Sichem (1609) représentant un portrait de Servet. Les personnages ( le bourreau et les syndics genevois sans doute...) devant le bûcher sont à peu près les mêmes. Mais c'est tout à fait typique des procédés de l'époque, ces gravures servant en quelque sorte de tracts...". "Ce tryptique est directement inspiré de la légende noire que Jérôme Bolsec a fabriqué dans sa "Vie de Calvin" pour se venger du réformateur. Bolsec, adversaire théologique de Calvin ( à propos de la double prédestination) , s'est vu intenter quelques années avant Servet un procès qui a failli lui coûter la vie. Il n'a dû son salut qu'à un bannissement sur les terres bernoises prononcé par un Petit Conseil alors hostile à Calvin. Quelques années après ces évènements, Bolsec, revenu au catholicisme, a écrit une fausse biographie à charge pour régler ses comptes et bien entendu, les adversaires de Calvin s'en sont emparé. Il est possible que cette gravure soit la première du genre. De fait, elle a été souvent recopiée (c'était un usage courant) et adaptée à des fins de propagande."

(collection de l'auteur du présent blog)


Carte postale signé Daniel Lines et édité par Carted en 1994.

Au verso de la carte on trouve ces mots :

« Michel Servet (1509?-1553)
Antitrinitaire

Poursuivi par l'Inquisition romaine
Condamné à mort sur les
ordres de Calvin
Brûlé vif à Genève le 27 oc
tobre 1553 »


Voir l'article sur ce blog : http://libertedecroyance.blogspot.com/2009/05/hommage-michel-servet-par-daniel-lines.html

(collection de l'auteur du présent blog)





Premier jour d'émission du timbre espagnol à l'effigie de Michel Servet (1977) en deux versions.


(collection de l'auteur du présent blog)







lundi 4 mai 2009

Hommage à Michel Servet par Daniel Lines

Durant ses années de collège Daniel Lines, originaire du quartier de Champel à Genève, passait chaque jour devant le « monument expiatoire » qu'un comité composé de personnalités religieuses et officielles avait érigé en 1903.

Parvenu à l'adolescence Daniel Lines fut frappé par l'hypocrisie émanant des mots gravés sur le monument.

C'est ce qui l'a poussé il y a 25 ans à réaliser un collage à partir d'une carte postale du « Mur des réformateurs » (on reconnaît la statue de Calvin) et de fragments de tableaux surréalistes en signe de réaction à la morale calviniste étouffante qui a imprégnée le milieu culturel de son enfance.

Je le remercie vivement de m'avoir fait parvenir cette carte postale en édition originale et de m'avoir relaté ce qui l'avait poussé à composer cette oeuvre.

Cette carte a été éditée par Carted en 1994.

On peut la retrouver exposée sur le site de l'éditeur à cette adresse : http://www.carted.eu/cartes/j012/01209.htm

Au verso de la carte on trouve ces mots :

« Michel Servet (1509?-1553)
Antitrinitaire
Poursuivi par l'Inquisition romaine
Condamné à mort sur les ordres de Calvin
Brûlé vif à Genève le 27 oc
tobre 1553 »

Un grand merci à Pascal Pithois (webmaster de Carted.eu) qui m'a permis d'entrer en contact avec Daniel Lines.

A gauche, texte du « monument expiatoire » de Champel (Genève) : «Fils respectueux et reconnaissants de Calvin, notre grand réformateur, mais condamnant une erreur qui fut celle de son siècle et fermement attachés à la liberté de conscience selon les vrais principes de la Réformation et de l'Évangile, nous avons élevé ce monument expiatoire».

A droite, partie centrale du « mur des réformateurs » à Genève au Parc des Bastions (officiellement « Monument international de la Réformation ») composé de Guillaume Farel, Jean Calvin, Théodore de Bèze et John Knox.

vendredi 1 mai 2009

Quel panthéisme chez Michel servet ?

Durant son procès Michel Servet fut accusé de panthéisme, idée selon laquelle tout ce qui existe dans l'univers est une partie de Dieu.

Mais le Panthéisme de Servet est assez limité car il croyait en un Dieu personnel et transcendant, par opposition au système panthéiste proprement dit où tout ce qui est existe, non seulement par Dieu, mais en Dieu et où il n'est pas un être personnel distinct du monde, mais lui est immanent.

Il demeure donc théiste et n'est surtout pas naturaliste.

En fait Servet a simplement soutenu que puisque tout ce qui existe vient de Dieu, celui-ci l'a automatiquement tiré de lui-même, de sa « force » et que, puisque tout vient de Dieu, un peu de Dieu réside en toute chose.

C'est ce que laisse supposer la Bible, par exemple avec Isaïe 40:25-28, Genèse 1:7 ou encore Genèse 1:2 où le mot hébreu « werouaḥ » (venant de « rouaḥ ») se traduit par « esprit », mais aussi par « vent » et par d’autres mots qui désignent une force agissante invisible.

Cela tranchait quelque peu avec l'enseignement des théologiens depuis St Augustin qui se contentaient d'enseigner que Dieu a créé l'univers à partir du néant.

Je vous propose de lire ci-apès ce qu'ont écrit Pierre Domeyne, Georges Haldas et Roland Bainton à propos du « panthéisme » de Michel Servet.


Pierre Domeyne – Michel servet : Au risque de se perdre


Sur le supposé panthéisme de Servet, Calvin se déchaîne comme il le racontera plus tard à propos de l'affirmation de Servet selon laquelle toutes les créatures sont de la substance même de Dieu, et qu'ainsi toutes choses sont pleines de Dieu. Voici un extrait de l'échange :

Calvin : Quoi, misérable, alors, chaque fois que l'on foule un plancher, faudrait-il dire que l'on foule aussi son Dieu ? Ne rougis-tu pas d'une telle absurdité ?

Servet : Mais oui, et je ne doute pas que ce banc que voici, et tout ce que tu pourrais me montrer ne soit de la substance de Dieu.

Calvin : Le démon serait donc Dieu par sa substance ?

Servet : En douteriez-vous par hasard, c 'est bien là mon principe fondamental, que toutes choses sont partie et portion de Dieu et que la nature des choses est substantiellement l'esprit de Dieu, (Calvin note ici que Servet eut un petit rire...)

Dans cet échange, Servet réplique avec un humour subtil dans le raisonnement poussé à l'absurde et un redoutable sens de la dialectique. Voici un propos de l'Espagnol toujours rapporté par Calvin qui a au moins le mérite de citer les réponses de Servet pouvant se retourner contre lui :

Vous avez dit que quand vous remuez le pied, vous ne vous mouvez pas en Dieu. C'est donc que vous vous mouvez dans le Diable. Mais nous nous mouvons et vivons en Dieu, dans qui nous vivons. Même si vous êtes un aveugle démon, vous n 'en êtes pas moins soutenus par Dieu.


Chapitre V. Pages 98 et 99. Extrait présenté avec l'autorisation de l'auteur.

Edition L'Harmattan (Paris) 2008 – ISBN : 978-2-296-05942-9 – Prix indicatif : 17 €

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=26663



Georges Haldas – Passion et mort de Michel Servet


Pour l'inspiration panthéiste, enfin, de Servet :

35° Que l'air est l'esprit de Dieu, et que Dieu est nommé Esprit pour ce qu'il vivifie toutes choses par son esprit d'air.

Répond Servet : qu'il ne se souvient pas de l'avoir ainsi écrit. Toutefois qu'il confesse bien que l'air est appelé esprit, et que Dieu est esprit, tant par son essence que pour ce qu'il inspire par l'air et vivifie.


...


PANTHEISME

Si vous en excluez l'idée de Dieu, aucune chose ne peut plus porter le nom de pierre, d'or, de chair, d'âme de l'homme, d'homme, puisque c'est l'idée de Dieu qui crée l'existence spécifique et individuelle des choses. Dieu essentialise les essences. Il confère l'essence aux esprits célestes. C'est de lui que dérive la lignée des essences divines qui, à leur tour, infusent Son essence dans les autres êtres. Dieu lui-même est en eux et la lumière de sa parole s'irradie en eux. Il soutient toute chose en leur essence, de sorte que toute créature qui n'a pas Son soutien est réduite au néant. Puisqu'il contient en lui-même les essences de toutes choses, il se montre à nous dans la réalité du feu, de la pierre, d'une baguette, d'une fleur, etc. Il n'en est pas altéré, mais c'est une pierre qui est perçue en Dieu. Est-ce une vraie pierre ? Oui, car Dieu dans le bois est bois, et dans la pierre est pierre; et ayant en lui-même la forme de la pierre, la substance de la pierre, je considère que c'est donc être effectivement pierre, en ayant l'essence et la forme, bien que n'en comportant pas la matière. (Extrait de la Christianismi restitutio - ndlr)


Chapitre III. Pages 80 et 239.

Edition L'Age d'Homme (Lausane) 1975 – ISBN : 2-8251-2937-2 – Prix indicatif : 24 €

http://www.lagedhomme.com/boutique/fiche_produit.cfm?ref=2-8251-2937-2&type=22&code_lg=lg_fr&num=91&pag=8


Roland H. Bainton – Michel servet – Hérétique et Martyr - 1553-1953


Pour ce qui est des points de doctrine, Calvin rapporte ainsi la discussion sur le panthéisme :

Quand il affirme que toutes les créatures sont de la substance même de Dieu, et qu'ainsi toutes choses sont pleines de Dieu (car il n'eut pas honte d'exprimer ainsi sa pensée, par écrit et oralement), je m'indignai, blessé au vif: « Quoi, misérable 1 Alors chaque fois que l'on foule un plancher, faudrait-il dire que l'on foule aussi son Dieu? Ne rougis-tu pas d'une telle absurdité ?» — « Mais oui, répondit-il, et je ne doute pas que ce banc que voici, et tout ce que tu pourrais me montrer ne soit de la substance de Dieu ». Et quand je lui eus objecté de nou­veau: « Le démon serait donc Dieu par sa substance? », il répondit avec un petit rire: « En douteriez-vous par hasard? C'est bien là mon principe fondamental, que toutes choses sont partie et portion de Dieu et que la nature des choses est substantiellement l'esprit de Dieu »la.

Servet commenta cette discussion de la façon suivante:

Vous avez dit que quand vous remuez le pied, vous ne vous mouvez pas en Dieu. C'est donc que vous vous mouvez dans le Diable. Mais nous nous mouvons et vivons en Dieu, dans qui nous vivons. Même si vous êtes un aveugle démon, vous n'en êtes pas moins soutenus par Dieu.


Edition Droz (Genève) 1953 – ISBN : 978-2-600-03204-9
ISSN : 0082-6081 – Prix indicatif : 25 $

non réédité en français mais disponible en anglais à cette adresse : http://www.amazon.com/Hunted-Heretic-Michael-Servetus-1511-1553/dp/0972501738/ref=pd_sim_b_1