jeudi 15 octobre 2009

L'Unité des Frères moraves : l'antitrinitarisme d'avant la réforme


Dans le Théolib n°27 consacré à Faust Socin, j'ai été surpris par le titre de l'article de M. Blanchard-Gaillard L'Ecclesia minor des Frères polonais – la première église chrétienne non trinitaire des temps modernes.

Je ne m'étalerai pas ici sur le sens de l'expression « des temps modernes » dont la nature m'échappe quelque peu – je présume qu'il fait remonter ces « temps modernes » à la réforme initiée par Luther - mais plutôt sur « la première église chrétienne non trinitaire ».

Oui, car au moins une autre église a devancée l'Ecclesia minor (organisée vers 1565) dans son rejet de la Trinité, il s'agit de l'Unité des Frères moraves, communauté de sensibilité hussite qui fut non trinitaire et anabaptiste à ses origines.

L'histoire de celle-ci débute vers 1440 lorsque le tchèque Petr Chelčický, gagné aux idées de Jan Hus mais séparé des Hussites dont il dénonçait la violence, rédige Le filet de la foi.

Radical, Chelčický y enseigne que la guerre est incompatible avec le christianisme et qu'un disciple de Jésus doit se laisser guider par sa « loi » quelles qu'en soient les conséquences.

Chelčický était également proche des Vaudois mais la tiédeur de leur discours l'en avait écarté.

Le hussite Grégoire de Prague s'étant enthousiasmé par les thèses de Chelčický persuadera certains de son mouvement en 1458 de partir de chez eux pour le suivre à Kunwald où ils fonderont leur communauté religieuse.

Par la suite des groupes de vaudois tchèques et allemands les rejoindront.

La période de 1464 à 1467 marquera le développement de l’Unité des Frères qui tiendront plusieurs synodes.

C'est au cours de ceux-ci que les Frères définiront leur doctrine et la coucheront par écrit, textes qui seront compilés sous la forme d'une série de livres intitulés Acta Unitatis Fratrum.

En voici un extrait : “ Nous sommes déterminés à établir notre administration uniquement par la lecture et par l’exemple de notre Seigneur et des saints apôtres, dans le silence, l’humilité et la patience, en aimant nos ennemis, en leur faisant et en leur souhaitant du bien, et en priant pour eux. ”

Les Frères avaient l'esprit missionnaire et s'employaient à répandre le message évangélique aux autres par des visites qu'ils effectuaient souvent deux par deux à l'image de leurs amis Vaudois et surtout selon le modèle biblique (cf. Luc 10:1).

Mais en 1494 un schisme éclate au sein de l'Unité et les Frères se scinde en deux groupes, le parti majeur et le parti mineur.

Le parti majeur se voulait moins radical et tranchait en cela avec le parti mineur qui tenait fermement à sa neutralité politique.

Par ailleurs c’est le parti mineur qui demeurera non trinitaire.

Voici ce qu'a écrit l'un des membres du parti mineur : “ Les gens qui marchent sur deux routes ont peu de garanties qu’ils resteront avec Dieu, car ce n’est que rarement et dans de petites choses qu’ils sont disposés à se sacrifier et à se soumettre à lui, et dans les grandes choses ils font ce qui leur plaît. (...) C’est parmi ceux qui ont l’esprit ferme et une bonne conscience, qui suivent jour après jour le Seigneur Christ sur la route resserrée avec leur croix, que nous voulons être comptés. ”

Dans leur rejet de la Trinité les Frères du parti mineur voyaient le saint esprit comme la force de Dieu qu'ils appelaient son « doigt ».

Ils croyaient en la doctrine de la rançon que Jésus paya en offrant sa vie pour permettre aux hommes de se défaire du péché adamique.

Réformateurs avant l'heure ils s'étaient débarrassé du culte mariolâtre et avaient aboli le système clérical avec ses prêtres célibataires en le remplaçant par un système de ministres laïcs plus conforme au modèle apostolique.

Ils furent très critique envers les autres églises, notamment à cause de leur position anabaptiste.

A l'encontre de celles-ci, le parti majeur inclus, le parti mineur écrira : « Vous enseignez qu’il faut baptiser les petits enfants qui n’ont pas leur propre foi, a-t-il écrit, et en cela vous suivez ce qu’a institué un évêque appelé Dionysius, qui a encouragé le baptême des nouveau-nés à l’instigation d’insensés (...). Presque tous les enseignants et les docteurs font de même, Luther, Melanchthon, Bucer, Korvín, Jiles, Bullinger, (...) le parti majeur, qui tous trafiquent ensemble. »

L'un des dirigeants du parti mineur, Jan Kalenec, fut torturé par l'inquisition catholique en 1524 et trois autres finirent sur un bûcher.

On estime qu'entre 1500 et 1510 les Frères moraves auraient publiés cinquante des soixante livres qui l'ont été en Tchéquie durant ces dix années.

Les Frères moraves contribuèrent également à l'évolution de la traduction de la Bible en tchèque.

Après la mort des derniers Frères du parti mineur vers 1550, le rejet de la Trinité par cette communauté disparu complètement.

Ce qu'il reste aujourd'hui de l'Unité des Frères moraves est une église organisée sous le nom d'Eglise Morave mais intégrée dans la double tradition hussite et luthérienne.

Voici une liste de déclarations, rédigées par des dirigeants du parti mineur, s’adressant principalement au parti majeur :

Trinité : « Si vous regardez la Bible d’un bout à l’autre, vous ne trouverez nulle part que Dieu est divisé en une sorte de Trinité, trois personnes au nom différent, croyance que des gens ont imaginée de toutes pièces. »
Esprit saint : « Le saint esprit est le doigt de Dieu et un don de Dieu, un consolateur, la Puissance de Dieu, que le Père donne aux croyants sur la base des mérites du Christ. On ne lit nulle part dans les Saintes Écritures qu’il faut qualifier le saint esprit de Dieu ou de Personne ; cela ne figure pas non plus dans les écrits apostoliques. »
Prêtrise : « Ils vous donnent à tort le titre de ‘ prêtre ’ ; si vous enlevez votre tonsure et votre onction du doigt, vous n’avez rien de plus que le plus ordinaire des laïcs. Saint Pierre invite tous les chrétiens à être prêtres en disant : Vous êtes la sainte prêtrise qui offre des sacrifices spirituels (1 Pierre 2). »
Baptême : « Le Seigneur Christ a dit à ses apôtres : Allez dans le monde, prêchez l’Évangile à toute la création, à ceux qui croiront (Marc, chapitre 16). Et seulement après ces paroles : et en étant baptisés, ils seront sauvés. Or, vous enseignez qu’il faut baptiser les petits enfants qui n’ont pas leur propre foi. »
Neutralité : « Ce que vos premiers frères considéraient comme mal et impur, s’engager dans l’armée et tuer ou aller sur les chemins en portant des armes, tout cela vous le tenez pour bien. [...] Nous pensons donc que vous, comme les autres enseignants, ne regardez que de l’œil gauche les paroles prophétiques qui déclarent : Il a donc brisé la puissance de l’arc, les boucliers, l’épée et la bataille (Psaume 75). Et encore : Ils ne feront pas de mal ni ne détruiront dans toute ma montagne sainte, car la terre du Seigneur sera pleine de la connaissance divine, etc. (Isaïe, chapitre 11). »
Prédication : « Nous savons pertinemment qu’au départ les femmes ont amené davantage de personnes à la repentance que tout un groupe de prêtres avec un évêque. Et maintenant les prêtres se sont installés dans leur village et dans la résidence qui leur est allouée. Quelle erreur ! Allez dans le monde entier. Prêchez [...] à toute la création. »

Je vous donne ci-après les liens vers un très bon article dédié à cette communauté ainsi qu'une traduction en anglais du Filet de la foi de Petr Chelčický :

http://www.nonresistance.org/docs_htm/~Net_of_Faith/Net_of_Faith.html

http://www.ttstm.com/2009/09/september-10-petr-chelcicky-prophet.html

Bibliographie :

Victor-L. Tapié : Une église tchèque au XVe siècle : l'Unité des Frères (Librairie Ernest Leroux, 1934)

Joseph Macek : Jean Hus et les traditions hussites (Plon, 1973) - Chapitre V, section 5 "Pierre Chelčický" et section 6 "l'Unité des Frères".


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