mardi 4 août 2009

Les procès de Michel Servet et Pierre Fatio à Genève

Deux très bons articles sur les procès de Michel Servet et Pierre Fatio ont été publiés aujourd'hui dans le journal la Tribune de Genève.
http://www.tdg.ch/dossiers/geneve/grands-proces
Je les place à la suite de cette introduction en remerciant les auteurs.
Excellente lecture.

http://www.tdg.ch/actu/divers/1553-michel-servet-brule-vif-heresie-2009-08-03

1553, Michel Servet est brûlé vif pour hérésie

Grands Procès | L’Espagnol et Jean Calvin s’opposaient sur la Trinité. Un sujet dangereux à l’époque!


© (DR) | Servet au bûcher. Gravure hollandaise d'époque.

ÉTIENNE DUMONT | 03.08.2009 | 15:25

Août 1553. Un procès, que l’on sait extraordinaire, débute devant le Petit Conseil. Si l’accusation d’hérésie semble ressortir de l’Eglise, il s’agit là d’une affaire civile. L’Inquisition a disparu en 1535 de la ville, devenue République, laissant derrière elle un dernier mort. Cette année-là, un certain Pierre Gaudet a été brûlé aux portes de la cité.
L’accusé a 42 ou 44 ans. On ignore quand Michel Servet a vu le jour. Le nom est francisé. Il s’agit d’un Aragonais nommé Miguel Serveto y Revès. Ce «blasphémateur et hérésiarque» a été arrêté le 13 août. Il assistait au culte à la Madeleine. Quelques personnes ont reconnu dans la foule cet homme, connu pour ses écrits pour le moins polémiques sur la religion. Servet a été conduit à la prison de l’Evêché, souvent transformée par la suite jusqu’à sa démolition vers 1930. Elle se trouvait sur l’actuelle
terrasse Agrippa d’Aubigné.

L’évadé de Vienne

Servet est un homme en fuite. Il vient de s’évader d’un cachot de Vienne avec une facilité suspecte. Ce médecin a sans doute été aidé par un client haut placé, dont il a guéri la fille. En Dauphiné, il se trouvait dans les griffes de l’Inquisition. Les preuves contre lui semblaient accablantes. Il n’est pas impossible que Calvin ait aidé les catholiques contre l’ennemi commun en communiquant les lettres qu’il a reçues de l’Espagnol.
A Genève, le procès va se régler en huit séances. Il répond à une plainte formulée par
Nicolas de la Fontaine, qui est comme par hasard le secrétaire de Calvin. L’accusé devra répondre aux 38 articles de cette plainte, d’ordre théologique.

Tout commence dès le 14. Dans une audience préalable, Servet reconnaît la paternité des trois livres choquant les papistes et les protestants. La procédure peut donc commencer le 15. Servet demande un débat contradictoire avec Calvin. Le Conseil refuse. Il tient à garder la haute main sur les débats. En 1553, Calvin, qui n’a pas encore été reçu bourgeois, doit faire face à une forte opposition, menée par Ami Perrin. L’interrogatoire du 16 est d’ailleurs mené par Berthelier, un «libertin» frappé d’excommunication.

Le 17, Servet fait face à Jean Calvin, entendu comme expert. C’est la première fois que les hommes se voient. Vingt ans avant, ils auraient dû se rencontrer à Paris. La chose ne s’était pas réalisée. Ils n’ont fait depuis que correspondre. Le débat tourne vite à la dispute théologique. De tous les thèmes abordables, la Trinité l’emporte. Le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont-ils une ou trois personnes? On sait que depuis le IVe siècle, toutes les hérésies découlent de cette question centrale. Calvin attaque très fort. Servet fait front.

Dispute par écrit

Le 21 août, il est question du procès de Vienne, avant que l’on s’envoie à la tête des penseurs comme Origène, Tertullien ou Polycarpe. Le mémorialiste de la séance commence à y perdre son latin. Le Conseil, qui garde, lui, les pieds sur terre, décide d’écrire à l’Inquisition viennoise pour connaître son dossier d’accusation. On aura tout vu! Le 22 août, Servet s’adresse lui à la Seigneurie. Il remet en cause la criminalisation de l’hérésie. S’agit-il vraiment d’un délit?

Le 23, Servet dresse sa biographie. Il explique in fine avoir eu l’intention d’aller à Naples. Le 28, il doit répondre sur sa sympathie pour un ouvrage aussi suspect que le Coran. «D’un méchant livre, on peut prendre de bonnes choses.» Le 31 août, on revient au procès de Vienne. L’Inquisition a envoyé paître Genève. Elle ne transmettra rien.

Les choses sérieuses recommencent le 1er septembre. On est reparti pour les hautes spéculations religieuses. Le secrétaire déclare forfait. Il n’y comprend plus rien. Il faut continuer par écrit. Calvin et Servet vont échanger des textes incroyablement savants produits à toute vitesse et, pour Servet, dans des conditions épouvantables même s’il n’a pas été torturé. Quand on voit ces documents, on ne peut qu’être frappé par l’écriture parfaite du condamné en puissance.

C’est terminé, mais le plus long reste à venir. Si pour Calvin «ce chaos prodigieux de blasphèmes ne mérite aucun pardon», le Conseil veut l’approbation des cantons réformés. Il n’entend pas être seul responsable d’une telle exécution. Il faudra le 18 octobre pour les avoir enfin réunis. Le 26, Servet est condamné à mort. Calvin aurait aimé une décapitation. Ce sera le bûcher. L’exécution est fixée au lendemain, vendredi 27 octobre.

(dr)
La dernière lettre du condamné. La graphie est, pour l’époque, totalement moderne, contrairement à celle de Calvin.



Une exécution épouvantable

Le matin du 27, muni d’une autorisation du Petit Conseil, Calvin va voir Servet à la prison de l’Evêché. C’est la dernière entrevue. Déjà affaibli, le prisonnier a reçu la sentence avec stupeur. La veille, il a piqué une crise de nerfs.
L’Espagnol s’est repris entre-temps. Il parvient à avoir avec celui qui est devenu son ennemi une dernière argumentation théologique de deux heures. Il ne cédera pas. Du reste, pour lui, le crime de pensée n’existe pas. Servet, comme Sébastien Castellion, qui prendra bientôt sa défense depuis Bâle, est un homme moderne, alors que Calvin reste un personnage du Moyen Age.
Le réformateur s’en va. Il n’assistera pas à la suite. Le cortège peut partir en direction de Champel. Servet ira à pied, sans lien d’aucune sorte. Sa langue n’a pas été coupée, comme l’est souvent celle des hérétiques. Chacun espère en fait qu’il va se dédire. S’il reconnaissait son erreur, ça arrangerait vraiment tout le monde.
Tel n’est pas le cas. Servet sera donc brûlé réellement vif. Nul ne l’étranglera discrètement pour abréger ses souffrances, comme la chose se fait souvent. L’homme mettra une demi-heure à mourir au milieu des flammes, attaché à un pieu par une chaîne de fer. Ses derniers mots sont «O Jésus fils du dieu éternel, aie pitié de moi.» Guillaume Farel, venu de Neuchâtel, note qu’il lui aurait suffi de dire «Jésus fils éternel de Dieu» pour se voir sauvé à la dernière minute.



Un cas (presque) unique à Genève

❚ Si l’on parle de «l’affaire Michel Servet» à Genève, alors qu’il reste simplement question d’Inquisition pour les pays catholiques, c’est à cause du caractère véritablement unique du procès de 1553.
❚Créé au Moyen Age, réactivé par le pape Paul III en 1542, ce tribunal ecclésiastique a fait des milliers de morts. Peut-être des dizaines de milliers. Personne ne s’accorde sur les chiffres. En Espagne, où elle a été introduite en 1479, l’Inquisition a vite fait peur au pontife Sixte IV lui-même. Elle s’y maintiendra par ailleurs longtemps. Il faudra attendre 1834 pour que cet appareil de terreur disparaisse définitivement. Au Portugal, le dernier bûcher religieux date de 1761, ce qui semble incroyablement tard. Mais la péninsule Ibérique, pour reprendre le mot cruel de Régis Debray, ne constituait-elle pas alors «l’arrière-cour de l’Europe»?
❚ Genève ne connaîtra jamais un système répressif aussi organisé. Le Consistoire sera là pour excommunier, amender et réprimander, certes, mais sans rôtir les hérétiques. Notons cependant l’affaire du libre-penseur Jacques Gruet, en 1547, et celle de Nicolas Antoine, converti au judaïsme, en 1632…
❚Cela ne signifie pas que la justice ait échappé chez nous aux préjugés de l’époque. Des bûchers, il s’en dressera en plein XVIIe siècle pour les sorciers (et surtout les sorcières!). On ira jusqu’à emmurer vivants, au temps de Calvin, des personnes accusées de bouter la peste. C’est dire…



Un mort qui prend de la place
❚ En octobre 1553, Jean Calvin pensait en avoir fini avec son adversaire Michel Servet. Il n’en était rien. Très vite, des voix dissidentes se font entendre, dont celle de Sébastien Castellion. Le réformateur devra beaucoup écrire afin de se justifier. «L’affaire Michel
Servet» ira jusqu’à envahir son «Institution de la religion chrétienne», le livre qu’il reprend et réédite sans cesse.
❚ D’une manière plus perverse, l’exécution par le feu de l’Espagnol arrange bien les catholiques. Elle prouve qu’il n’y a pas de différence, du moins sur ce plan-là, entre les deux religions. Cette manière de les renvoyer dos à dos sera souvent reprise en France après la Révocation de l’Edit de Nantes en 1685.
❚ On dira qu’un mort face à des milliers, c’est peu, même si cela reste un de trop. Dans son ouvrage «Michel Servet, Du bûcher à la liberté de conscience» (Editions de Paris, 2009) auquel sont empruntés nombre de renseignements publiés dans cette page, le pasteur genevois Vincent Schmid parle avec raison d’«innocence perdue». Le protestantisme a désormais du sang, ou plutôt des cendres, sur les mains.
❚Cet éternel retour de Servet dans le débat d’idées aboutira logiquement, en 1903, au monument expiatoire à Champel. L’Espagnol aura sa rue. Une chose inconcevable ailleurs. A ce qu’on sache, la France n’en a accordé aucune à Etienne Dolet ou à Anne du Bourg, les plus célèbres martyrs religieux de l’époque.

http://www.tdg.ch/actu/divers/geneve-oligarchique-sacrifie-pierre-fatio-1707-2009-08-03

La Genève oligarchique sacrifie Pierre Fatio en 1707

Histoire | L’avocat des «malintentionnés» progressistes est accusé d’un complot imaginaire.


© DR | Pierre Fatio. Portrait présumé par le peintre genevois Robert Gardelle. On n’est pas sûr d’y avoir identifié les traits de l’homme de 1707.

ÉTIENNE DUMONT | 04.08.2009 | 00:00

Le procès qui débute à Genève le 18 août 1707 est de nature politique. Tout le prouve. De son arrestation la veille à son exécution le 6 septembre, Pierre Fatio ne pourra pas voir sa famille. Un avocat est refusé à l’accusé, lui-même avocat. L’homme ne dispose ni de papier ni d’encre pour écrire. La tension est telle que le Genevois mange des œufs à la coque, par crainte de se voir empoisonné.

Mais ce qui frappe le plus, c’est la minceur du dossier. Comme l’expliquent bien Olivier et Nicole Fatio dans Pierre Fatio et la crise de 1707 (Labor et Fides, 2007), le Petit Conseil «compte sur les réponses de Fatio pour reconstituer les faits qui lui seront imputés». Les chefs d’accusation restent inexistants. Le gouvernement veut punir le chef des «malintentionnés» pour des actes couverts par une amnistie qu’il a lui-même accordée.

Comme au cinéma, un grand flash-back s’impose ici. Tout a commencé le 2 janvier. Nous sommes à Saint-Pierre. Plus de mille citoyens sont réunis pour élire, comme de coutume, les syndics. Les dés sont en réalité pipés. Le Conseil général enregistre l’élection. Il peut au maximum rejeter un candidat. Le peuple souverain ne peut cependant pas en proposer.

Le toilier de Longemalle

C’est à ce moment que se manifeste François Delachana. On le retrouvera tout au long de l’histoire. Ce toilier de Longemalle veut formuler des revendications. Fatio l’en dissuade. «Il faut agir ensuite.» Delachana est le véritable auteur des idées qui seront ensuite imputées à Fatio, qui deviendra peu après l’avocat des factieux. Il veut que le Conseil des Deux Cents s’élise lui-même, au lieu de se voir désigné par le Petit Conseil. Il demande le bulletin secret pour les élections du Conseil général. Il exige que les lois soient publiées. Et de limiter le nombre des membres d’une même famille dans les Conseils afin de mettre un terme à la domination de la République par des clans.

Ces idées, qui nous semblent aujourd’hui assurer un minimum de démocratie, affolent l’oligarchie en place. Pour ses membres, elles visent ni plus ni moins qu’à renverser les institutions. Cette aristocratie de fait (et non de droit), à laquelle appartient la vaste famille Fatio (1), se sent en plus blessée dans sa gestion. En bons pères de famille, les Conseils ne veulent-ils pas le bonheur et la prospérité de toute une population, quitte à la laisser dans une perpétuelle enfance? «Grâce à nous, Genève n’a connu ni guerre ni véritable crise depuis plus de cent ans.»

N’empêche que la révolte enfle et se prolonge. Il y a d’abord des conciliabules puis des manifestations. On en vient aux insultes et aux mains. Certains manquent de passer au Rhône. Le Conseil général exceptionnel si attendu a pourtant été réuni. Les factieux ont obtenu des Conseils plusieurs satisfactions le 26 mai: limitation des membres d’une famille, publication des lois, convocation d’un Conseil général quinquennal…

Mais déjà le mouvement libertaire s’essouffle. Plusieurs de ses membres se sont ralliés à l’oligarchie contre des promesses personnelles. Les troupes alémaniques sont intervenues, ce qui deviendra une habitude. Le «résident» imposé par Louis XIV ne prêche évidemment pas l’indulgence. L’Europe vit dans l’absolutisme.

Une répression s’impose donc, en dépit de l’amnistie. Il suffit pour cela d’inventer un complot. Il existe pour l’oligarchie quatre grands coupables: Piaget (qui se noiera en fuyant la ville), Lemaître (pendu le 23 août), Fatio et bien sûr Delachana (banni à vie le 24 août). Un papier «séditieux» de Delachana a été trouvé dans une poche de Fatio. Voilà qui tombe bien!

Exécution secrète

Dans ses deux interrogatoires, ce dernier se défend assez mollement. On s’attendait à des déclarations foudroyantes. Rien! Fatio semble retombé comme un soufflé. Il se contente de répondre aux questions sur les visites, fatalement suspectes, qu’il aurait reçues depuis la fin mai.

Le 31 août, le Petit Conseil rend son jugement. Fatio se voit condamné, sans preuves, à mort. Comme l’écrira le 10 décembre son cousin Nicolas Fatio de Duillier, «l’avocat Fatio pourrait bien avoir été sacrifié non pas tant pour les crimes commis que pour ceux que l’on craignait qu’il pourrait faire un jour».

Restait à exécuter le malheureux, devenu indifférent à son sort. Impossible de le faire en public. Fatio sera arquebusé assis, dans une cour de la prison de l’Evêché, au mépris des lois. Il ira au supplice «comme à une promenade», diront les témoins. Notons qu’en bon Genevois, l’homme avait demandé à mettre sa vieille perruque au lieu de la neuve. N’abîmons pas une chose pouvant encore servir…

(1) Les parents de Pierre Fatio ont eu 24 enfants.

Un système politique complexe

❚ En 1707, tous les Genevois sont loin de se trouver à égalité. Au sommet de la pyramide se trouvent les citoyens (pour Rousseau, «citoyen de Genève» constitue un titre de gloire, et non de modestie), issus de gens ayant acquis la bourgeoisie au moins une génération avant. Eux seuls osent participer aux affaires publiques. En dessous se trouvent, sans droits, les habitants, les natifs et, plus bas encore, les paysans sujets.

N’oublions pas que le servage reste très présent en Europe au XVIIIe siècle. Vu le nombre des réfugiés protestants et de leurs enfants, les citoyens représentent une part toujours plus faible de la population.

❚ Théoriquement, contrairement à Berne ou à Zurich, le pouvoir appartient au Conseil général, formé de tous les citoyens mâles de plus de 25 ans (on est alors majeur à 25 ans). Pour l’oligarchie en place dès la fin du XVIe siècle, ce pouvoir a cependant été délégué une fois pour toutes aux Conseils restreints.

❚ Ces Conseils sont deux. Le plus important est le Petit Conseil, qui choisit les membres du Conseil des Deux Cents. On parle d’«emboîtage». Le principal problème est que tout le monde reste étroitement apparenté. On ne compte plus les frères, beaux-frères et a fortiori cousins siégeant côte à côte. C’est en cela qu’on peut parler d’une aristocratie, même si les titres de noblesse (étrangers) restent très rares à Genève.

La Maison Buisson. Symbole du patriciat, elle est construite à partir de 1699. (DR)

La répression de l’automne 1707

❚ Paternalistes, les Conseils de 1707 avaient donc dû céder en mai à ce qu’ils considéraient comme une révolte enfantine. Il convenait, après les exécutions de Pierre Fatio et de Nicolas Lemaître, de jouer les pères fouettards. La répression, qu’Olivier et Nicole Fatio qualifient dans leur excellent livre d’«épuration», sera continue durant l’automne 1707. Peu d’acteurs, même très mineurs, des événements du printemps se verront ainsi oubliés.

❚ A quoi condamne-t-on? Pas à mort, bien sûr. Si injuste et si peu démocratique qu’elle puisse nous sembler, la Genève d’alors n’est ni la France de Louis XIV ni, a fortiori, la Russie de Pierre le Grand. Le gouvernement se contente donc d’amender, de «mettre en prison à domicile» ou de bannir pour des périodes allant de quelques années à la perpétuité, comme c’est le cas de Dechanna, dont l’importance se révèle à nos yeux plus grande que celle de Fatio. Les Conseils peuvent aussi jouer sur la suppression de la bourgeoisie, qui correspond à un anéantissement social.

❚ Les promesses du 26 mai seront-elles tenues? Oui, pour l’ouverture des Conseils. Oui, pour la tenue du Conseil général. Mais attention! En biaisant. Le Conseil général de 1712 déclarera ainsi «volontairement» qu’il cesserait de se réunir. Cet organe médiéval sera ressuscité une dernière fois en 1846, pour entériner la révolution radicale de James Fazy.

La prison de l’Evêché. Croquis avant la démolition, intervenue en 1840. (DR)

Pendant ce temps l’Eglise se détend

❚ Existe-t-il des coïncidences en histoire? La place manque (heureusement) pour ouvrir le débat. On ne peut néanmoins qu’être frappé par une chose. Au moment où la Genève politique se rigidifie en 1707, l’Eglise protestante se détend.

❚ A la mort de Calvin, Théodore de Bèze (décédé à 86 ans en 1605) s’était fait le gardien de l’orthodoxie. L’Eglise protestante s’était vue momifiée et surtout rigidifiée. Tout pasteur, avant de s’engager dans le ministère, devait signer un «consensus». Correspondant de Leibnitz, ami de Bayle, le théologien genevois Jean-Alphonse Turettini luttera pour obtenir sa suppression en 1706. Désormais, les pasteurs (et donc leurs ouailles) gardent une pleine liberté de conscience. L’accord se fait sur quelques dogmes, comme l’avait recommandé au XVIe Sébastien Castellion. A chacun d’interpréter, selon ses idées, «les points obscurs».

❚ L’idée de Turettini était la réconciliation des communautés réformées. Un résultat fut très rapide. En 1707, les luthériens purent ouvrir leur église (sans clocher!) au Bourg-de-Four.

❚ Notons qu’un acteur des troubles de 1707 bénéficiera du maintien des dogmes de base. André-Robert Vaudenet déclare en mai qu’il ne croit pas que Jésus fut le fils de Dieu. Après admonestations, le Genevois se voit cassé de sa bourgeoisie, mais on lui permet sans l’inquiéter d’habiter à Vésenaz, en Savoie. A l’étranger donc.

L’église luthérienne. Ouverte au Bourg-de-Four (mais sans clocher!) dès 1707. (Frautschi)