dimanche 29 mai 2011

Michel Servet est-il un prophète ?

Voici un court article que j'ai rédigé pour les Cahiers Michel Servet n°13 de juin 2010 "Les inspirés pas toujours compris".

Les Cahiers Michel Servet sont une revue indépendante et laïque éditée par le réseau francophone Correspondance unitarienne et enregistrée à la Bibliothèque Nationale de France sous l'ISSN 1965-2488.

Ils sont disponibles au prix associatif de 5,- euro. Pour toute information et commande contacter M. Jean-Claude Barbier à cette adresse mail : correspondance.unitarienne@wanadoo.fr

Michel Servet est-il un prophète ?

Ne fut-il pas plutôt un médecin, un humaniste et ... presque un réformateur ?


« Presque un réformateur »... Pour qu'il soit devenu un réformateur il aurait fallu qu'il puisse diriger une assemblée de fidèles, que ses écrits aient été reconnus par l'intelligencia protestante, par ceux notamment qui en occupèrent les sièges régionaux, je veux parler des Calvin à Genève, Œcolampade à Bâle ou Bullinger à Zurich, etc. En fait il conviendrait plutôt de dire qu'il ne fut surtout pas reconnu !


En tant que théologien, il ne se trouvera de place pour lui qu'au beau milieu des parias de la Réforme, les anabaptistes. Et encore ! Servet est tellement un penseur solitaire qu'il n'est jamais présenté par les historiens en tant qu'anabaptiste puisqu'il n'avait pas vraiment de rapports étroits avec cette mouvance. D'ailleurs il n'assistera pas au synode anabaptiste de Venise en 1550.


Un homme savant, né dans un petit coin de campagne insignifiant d’Aragon, soignant les malades, s'exprimant dans les langues des érudits et surtout celle des Juifs, capable de traduire les Saintes Écritures qu'il a la volonté d’expliquer alors que les « maîtres » de son temps le critique et le rejette catégoriquement, constamment sur les routes, terminant sa vie exécuté en public par ceux-là même qu’il estimait pouvoir le comprendre, les réformés de Genève, ayant même déclaré qu'il se préparait à la mort, des événements qui ressemblent à s'y méprendre à ceux qui se sont passés au Proche Orient quelques 1 500 ans plus tôt avec un certain Jésus…


Mais Servet n'a pas que le vêtement du prophète... Le prophète a pour vocation de changer les choses, de bousculer les idées reçues et les institutions figées. Il porte en lui le souffle divin qui lui autorise toutes les folies en terme de communication. Mais à sa manière, en cherchant à diffuser, il se révèle le prédicateur exigeant d'un retour au vrai christianisme, celui que l'on appelle de nos jours « primitif » ou encore « anté-nicéen ». Pour lui, si la Réforme l'entend et va au bout de son œuvre elle accouchera d'un christianisme vainqueur de la « Bête sauvage » de l'Apocalypse, la papauté , mot d'alors servant à qualifier l'Église catholique romaine, et abandonnera tout de ses pratiques jugée païennes. Rien qu'en rédigeant sa Christianismi Restitutio, il devient de fait l'annonciateur d'un monde nouveau où le christianisme apostat, selon l'idée qu'il s'en fait, n'a plus droit de cité. C'est un peu comme s'il s'était dit : « Calvin institue le christianisme et bien moi j'en annonce la restitution ! ».


Mais Servet céda à une tentation qui faillie lui être fatale déjà en 1538 à Vienne, celle de l'astrologie judiciaire. On suppose qu'il y aurait rencontré Nostradamus qui, selon des sources, se trouvait dans cette ville la même année. Ce serait une raison supplémentaire pour laquelle Servet s'est penché sur les moyens de connaître l'avenir. Pour lui aucun doute, si Dieu a créé la « machine » céleste ce n'est pas pour rien ! Il voit dans la création des corps célestes un appel divin à les observer et à en chercher les signes qui se révèlent au travers des mouvements planétaires. Il faut dire qu'à l'époque astrologie était synonyme d'astronomie. Si l'observation des mouvements faisait l'objet d'une interprétation ayant valeur de présage on parlait alors d'astrologie « judiciaire », pratique formellement condamnée par l'Église. Le lecteur et traducteur de la Bible qu'il était connaissait sans doute aucun ce mot de la Loi : « Vous ne devez pas chercher les présages, et vous ne devez pas pratiquer la magie » (Lévitique 19:26). Mais, le contexte du verset traitant de la magie - et lui-même ne la pratiquant pas - il pensait probablement que la recherche de présages condamné par l'Écriture était celle entourée de rituels magiques et non la sienne, qui, elle, s’accompagnait de raisonnements logiques et travaillant à la connaissance des actions divines.


Encore cette volonté d'annoncer !


Servet est trop spiritualiste pour cette époque où il est plus que jamais question de pouvoir temporel en religion et trop rationaliste pour une chrétienté encore tant fondamentaliste. Et puis, le temps n'est plus aux prophètes mais aux docteurs. Le monde des réformés, entend plutôt s’appuyer sur les Princes et les Communes qui les soutiennent et ils élèveront leurs enfants dans les lettres des grands hommes qu'ils s'étaient choisis pour guides.


Incompris il le fut jusqu'à la fin. La quasi totalité de ses travaux écrits brûlèrent avec lui à Champel. Ses rêves de réforme radicale, d'avènement d'un monde nouveau, de millénium ayant pour seul roi sur la terre le Christ, où la vache et l'ours pâtureraient ensemble, tout cela fut anéanti dans les flammes.


Par la suite sa mémoire ne survécut que timidement. Ce sont souvent d'autres incompris qui firent resurgir régulièrement son martyr et ses doctrines. Il faudra attendre quelques 350 ans avant que ceux qui se considèrent comme les héritiers de ses accusateurs genevois ne produisent un monument expiatoire et presque autant avant que des milieux extérieurs à l'unitarisme anglo-saxon et transylvain ne s'intéressent à ses travaux.


Mais si Servet fut incompris de son temps combien il ne l'est plus de nos jours ! Tant de voix se sont levées au cours du XXème siècle pour dénoncer ses bourreaux et faire apparaitre son génie au grand jour. Pour les chrétiens non trinitaires d'aujourd'hui, de toute tendance confondue, il a repris sa place de prophète annonciateur d'un autre christianisme et, pour beaucoup d'entre ces chrétiens, de vérités élémentaires. Et ce ne sont pas uniquement les croyants qui lui rendent hommage mais aussi les libres-penseurs de tout bord, tous ceux qui aspirent à la liberté d'expression et de conviction. Il est en bonne place au panthéon des martyrs qui ont scellés de leur sang le droit à cette liberté et qui n'ont pas plié le genoux devant l'alliance fanatique du tribunal ecclésiastique et du bras séculier.

1 commentaire:

Alexis Andrianis a dit…

Félicitations!
Beau texte intéressant et instructif.
Merci