Brûlé deux fois, Servet aura sa statue à Genève grâce à Rémy Pagani
Histoire genevoise | Le premier bronze réalisé en 1908 par Clotilde Roch, une élève de Rodin, mais refusée par Genève, avait trouvé refuge à Annemasse.© DR | Michel Servet, icône des libres-penseurs, aurait eu 500 ans le 29 septembre 2011 (à gauche la stèle de Genève avenue Beau-Séjour, à gauche la staue de Saragosse. La même sera inaugurée lundi à Genève)
JF Mabut | 01.10.2011 | 08:36
Michel Servet aurait eu 500 ans le 29 septembre. Le théologien et médecin espagnol, brûlé vif à Champel le 27 octobre 1553, aura enfin droit à sa statue à Genève grâce à Rémy Pagani. L'œuvre en bronze, qui sera inaugurée lundi après-midi derrière l'hôpital cantonal, a été fondue à Saragosse selon le modèle original en plâtre de Clotilde Roch, une élève de Rodin.
C'est en tant que maire de Genève en 2009 que le conseiller administratif d'A Gauche toute s'est pris de passion pour ce «dissident de la dissidence», devenue une des icônes des libres-penseurs. Servet contestait le dogme chrétien de la Trinité (un Dieu en trois personnes), une hérésie pour le pape autant que pour le réformateur genevois Jean Calvin. Il fut d'ailleurs brûlé deux fois.
A XVIe siècle, on ne badinait pas avec la religion. Les livres du théologien sont interdits. En 1531, il doit changer de nom et sillonne l'Europe sous le patronyme de Michel de Villeneuve, du nom de sa ville natale Villanueva de Sigena, à 125 kilomètres au nord-ouest de Saragosse. Il entretient néanmoins une correspondance avec Calvin. En 1553, il est à Vienne, au sud de Lyon. Son dernier bouquin nie la divinité du Christ. Trop c'est trop, un proche de Calvin le dénonce aux catholiques. Qui l'emprisonnent et condamnent l'hérétique au bûcher. Il parvient à s'échapper. L'inquisition brûlera son effigie en place publique.
En route vers l'Italie, Servet passe par Genève. Pas de chance, il est reconnu, arrêté, condamné une deuxième fois au bûcher. Calvin et la compagnie des pasteurs, qui bataillent ferme alors contre le Conseil de ville pour imposer leur pouvoir et faire de Genève une cité réformée exemplaire, ne sont pas moins convaincus que les catholiques qu'il faut éliminer les hérétiques.
Michel Servet y perd la vie mais y gagne le statut d'icône de la liberté de pensée. Très vite la polémique enfle. Le réformateur Sébastien Castillon critique les protestants genevois. Plus tard Voltaire défendra sa cause. La « victime du protestantisme » empoisonne l'Eglise genevoise. En 1903, l'Eglise nationale fait dresser une stèle expiatoire derrière l'hôpital sur les lieux du bûcher. Mais l'histoire ne s'arrête pas là.
Rémy Pagani s'est plongé dans la vie de Servet avec passion. A Saragosse, où un musée est consacré au théologien supplicié, on a inauguré en 2004 une statue de Servet pour le 450e anniversaire de sa mort et on prépare la commémoration du 500e de sa naissance. Une délégation débarque à Genève et s'étonne de n'y trouver aucune statue du médecin espagnol.
Un bronze a pourtant bien été coulé au tout début du vingtième siècle par Clotilde Roch. Qu'est-il devenu? Rémy Pagani tombe des nues et demande à ses services d'enquêter.
Tribulations des statues de Servet
Philippe Beuchat, conseiller en conservation de la ville de Genève raconte : « En 1902, la Ville a refusé l'œuvre de l'artiste qui avait exécuté le bronze à la demande d'un congrès international de libres-penseurs réuni à Genève. C'est la Ville d'Annemasse qui l'a récupéré.» Un pied de nez de la troisième république plutôt anticléricale à la Rome protestante ? C'est probable, remarque Sabine Maciol, archiviste de la Ville d'Annemasse.
Selon Philippe Beuchat, le plâtre original aurait été offert à Saragosse par la sculptrice ou l'un de ses parents. Les versions divergent sur ce point. Sabine Maciol se souvient que la commune de Saragosse a demandé à Annemasse en 2003 l'autorisation de copier la statue de l'Hôtel-de-Ville. Une demande restée sans suite en raison des coûts de l'opération.
Servet fondue pour la guerre
Arrive la seconde guerre mondiale. L'œuvre de Roch est déboulonnée en 1941, fondue, victime de la récupération des métaux. Vingt ans passent. La ville frontalière s'adresse à la famille de la sculptrice à Rolle. Coup de chance, elle a conservé un plâtre de Servet. Une nouvelle statue en bronze est réalisée. «Elle est légèrement plus petite, moins bien finie que le plâtre original conservé à Saragosse», analyse l'expert Philippe Beuchat, qui conclut : « La seconde statue de Servet installée à Annemasse est sans doute le résultat d'une première ébauche de l'artiste».
En 1988, le maire Robert Borrel, profitant de la réfection de la place de l'Hôtel-de-Ville, y fait dresser la statue. « Servet détourne son regard de Genève », remarque Sabine Maciol. L'archiviste connaît bien son sujet. Elle a organisé une exposition sur le libre penseur en 2008.
Ce lundi 3 octobre 2011, à 14 heures, Rémy Pagani inaugurera la statue de Michel Servet à l'angle des avenues de la Roseraie et Beau-Séjour, en présence de M. De Frutos, Ambassadeur d'Espagne en Suisse, Mme Isabelle Graesslé, Directrice du Musée de la Réforme et de M. Jean Batou, Professeur d'histoire à l'Université de Lausanne.
La copie genevoise a été coulée à partir du plâtre original de Saragosse, mis gracieusement à la disposition des Genevois, note Etienne Lézat, directeur des relations extérieures de la Ville de Genève qui s'est rendu sur place. Dernier clin d'œil de l'histoire, le bronze genevois sort de la même fonderie qui en 2004 a réalisé celui de Saragosse qui se dresse, devant l'hôpital Michel Servet,... avenue Isabel la Catholique.
A lire dans Le Temps : http://www.letemps.ch/Page/Uuid/05fe4c7e-eba4-11e0-89e5-baf6d641008b/Gen%C3%83%C2%A8ve_r%C3%83%C2%A9habilite_Michel_Servet_en_victime_de_la_pens%C3%83%C2%A9e_unique
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