samedi 1 octobre 2011

Michel Servet à l'honneur dans la presse Suisse

A lire dans La Tribune de Genève : http://www.tdg.ch/geneve/actu/brule-fois-servet-aura-statue-geneve-pagani-2011-09-30

Brûlé deux fois, Servet aura sa statue à Genève grâce à Rémy Pagani

Histoire genevoise | Le premier bronze réalisé en 1908 par Clotilde Roch, une élève de Rodin, mais refusée par Genève, avait trouvé refuge à Annemasse.

© DR | Michel Servet, icône des libres-penseurs, aurait eu 500 ans le 29 septembre 2011 (à gauche la stèle de Genève avenue Beau-Séjour, à gauche la staue de Saragosse. La même sera inaugurée lundi à Genève)

JF Mabut | 01.10.2011 | 08:36

Michel Servet aurait eu 500 ans le 29 septembre. Le théologien et médecin espagnol, brûlé vif à Champel le 27 octobre 1553, aura enfin droit à sa statue à Genève grâce à Rémy Pagani. L'œuvre en bronze, qui sera inaugurée lundi après-midi derrière l'hôpital cantonal, a été fondue à Saragosse selon le modèle original en plâtre de Clotilde Roch, une élève de Rodin.

C'est en tant que maire de Genève en 2009 que le conseiller administratif d'A Gauche toute s'est pris de passion pour ce «dissident de la dissidence», devenue une des icônes des libres-penseurs. Servet contestait le dogme chrétien de la Trinité (un Dieu en trois personnes), une hérésie pour le pape autant que pour le réformateur genevois Jean Calvin. Il fut d'ailleurs brûlé deux fois.

A XVIe siècle, on ne badinait pas avec la religion. Les livres du théologien sont interdits. En 1531, il doit changer de nom et sillonne l'Europe sous le patronyme de Michel de Villeneuve, du nom de sa ville natale Villanueva de Sigena, à 125 kilomètres au nord-ouest de Saragosse. Il entretient néanmoins une correspondance avec Calvin. En 1553, il est à Vienne, au sud de Lyon. Son dernier bouquin nie la divinité du Christ. Trop c'est trop, un proche de Calvin le dénonce aux catholiques. Qui l'emprisonnent et condamnent l'hérétique au bûcher. Il parvient à s'échapper. L'inquisition brûlera son effigie en place publique.

En route vers l'Italie, Servet passe par Genève. Pas de chance, il est reconnu, arrêté, condamné une deuxième fois au bûcher. Calvin et la compagnie des pasteurs, qui bataillent ferme alors contre le Conseil de ville pour imposer leur pouvoir et faire de Genève une cité réformée exemplaire, ne sont pas moins convaincus que les catholiques qu'il faut éliminer les hérétiques.

Michel Servet y perd la vie mais y gagne le statut d'icône de la liberté de pensée. Très vite la polémique enfle. Le réformateur Sébastien Castillon critique les protestants genevois. Plus tard Voltaire défendra sa cause. La « victime du protestantisme » empoisonne l'Eglise genevoise. En 1903, l'Eglise nationale fait dresser une stèle expiatoire derrière l'hôpital sur les lieux du bûcher. Mais l'histoire ne s'arrête pas là.

Rémy Pagani s'est plongé dans la vie de Servet avec passion. A Saragosse, où un musée est consacré au théologien supplicié, on a inauguré en 2004 une statue de Servet pour le 450e anniversaire de sa mort et on prépare la commémoration du 500e de sa naissance. Une délégation débarque à Genève et s'étonne de n'y trouver aucune statue du médecin espagnol.

Un bronze a pourtant bien été coulé au tout début du vingtième siècle par Clotilde Roch. Qu'est-il devenu? Rémy Pagani tombe des nues et demande à ses services d'enquêter.

Tribulations des statues de Servet

Philippe Beuchat, conseiller en conservation de la ville de Genève raconte : « En 1902, la Ville a refusé l'œuvre de l'artiste qui avait exécuté le bronze à la demande d'un congrès international de libres-penseurs réuni à Genève. C'est la Ville d'Annemasse qui l'a récupéré.» Un pied de nez de la troisième république plutôt anticléricale à la Rome protestante ? C'est probable, remarque Sabine Maciol, archiviste de la Ville d'Annemasse.

Selon Philippe Beuchat, le plâtre original aurait été offert à Saragosse par la sculptrice ou l'un de ses parents. Les versions divergent sur ce point. Sabine Maciol se souvient que la commune de Saragosse a demandé à Annemasse en 2003 l'autorisation de copier la statue de l'Hôtel-de-Ville. Une demande restée sans suite en raison des coûts de l'opération.

Servet fondue pour la guerre

Arrive la seconde guerre mondiale. L'œuvre de Roch est déboulonnée en 1941, fondue, victime de la récupération des métaux. Vingt ans passent. La ville frontalière s'adresse à la famille de la sculptrice à Rolle. Coup de chance, elle a conservé un plâtre de Servet. Une nouvelle statue en bronze est réalisée. «Elle est légèrement plus petite, moins bien finie que le plâtre original conservé à Saragosse», analyse l'expert Philippe Beuchat, qui conclut : « La seconde statue de Servet installée à Annemasse est sans doute le résultat d'une première ébauche de l'artiste».

En 1988, le maire Robert Borrel, profitant de la réfection de la place de l'Hôtel-de-Ville, y fait dresser la statue. « Servet détourne son regard de Genève », remarque Sabine Maciol. L'archiviste connaît bien son sujet. Elle a organisé une exposition sur le libre penseur en 2008.

Ce lundi 3 octobre 2011, à 14 heures, Rémy Pagani inaugurera la statue de Michel Servet à l'angle des avenues de la Roseraie et Beau-Séjour, en présence de M. De Frutos, Ambassadeur d'Espagne en Suisse, Mme Isabelle Graesslé, Directrice du Musée de la Réforme et de M. Jean Batou, Professeur d'histoire à l'Université de Lausanne.

La copie genevoise a été coulée à partir du plâtre original de Saragosse, mis gracieusement à la disposition des Genevois, note Etienne Lézat, directeur des relations extérieures de la Ville de Genève qui s'est rendu sur place. Dernier clin d'œil de l'histoire, le bronze genevois sort de la même fonderie qui en 2004 a réalisé celui de Saragosse qui se dresse, devant l'hôpital Michel Servet,... avenue Isabel la Catholique.


A lire dans Le Temps : http://www.letemps.ch/Page/Uuid/05fe4c7e-eba4-11e0-89e5-baf6d641008b/Gen%C3%83%C2%A8ve_r%C3%83%C2%A9habilite_Michel_Servet_en_victime_de_la_pens%C3%83%C2%A9e_unique

Histoire samedi1 octobre 2011

Genève réhabilite Michel Servet en victime de la pensée unique

Yelmarc Roulet

Une statue du penseur brûlé vif pour blasphème est inaugurée lundi. Un geste politique davantage qu’expiatoire

Brûlé vif en octobre 1553, Michel Servet revient à Genève en effigie, sous la forme d’une statue qui sera inaugurée lundi sur les lieux de son supplice. Cette manifestation, à l’initiative de la Ville, commémore les 500 ans du médecin et théologien espagnol, né selon la tradition le 29 septembre 1511 dans les Pyrénées aragonaises.

«L’affaire Servet reste une tache dans la vie de Calvin, note Isabelle Graesslé, directrice du Musée de la Réforme, qui prononcera une allocution lors de la cérémonie. Même si Genève connaissait à cette époque environ trois bûchers par an.» Pour la théologienne, l’inauguration de cette statue clôt un cycle: «En 1909, c’était encore saint Calvin. Aujour­d’hui, on ne peut plus dire que la mémoire genevoise refuse de commémorer une victime.»

1909? Cette année-là, Genève fêtait le 400e anniversaire de Calvin en érigeant le mur des Réformateurs dans le parc des Bastions. Mais elle n’avait pas voulu de la statue de Servet, que lui offrait le mouvement des libres-penseurs. Tout au plus avait-on placé, dans le quartier de Champel, à l’emplacement du bûcher, une pierre commémorative avec une plaque mettant la mort de l’humaniste sur le compte d’«une erreur de son siècle». Quant à la statue des libres-penseurs, signée Clotilde Roch (1867-1923), artiste genevoise et élève de Rodin, elle finira sur la place de la Mairie alors radicale-socialiste d’Annemasse, en guise de monument à la tolérance. Détruite sous le régime de Vichy, elle a été remplacée par une copie.

«Quand j’étais maire, raconte Rémy Pagani, j’ai été contacté par des historiens de Saragosse qui se plaignaient de l’état d’abandon de la pierre commémorative. Nous avons retrouvé en Aragon le moule en plâtre de l’œuvre, légué par Clotilde Roch. Notre statue a été coulée là-bas.» «Servet, c’était le dissident des dissidents», souligne l’élu d’A gauche toute! , qui se réjouit d’ériger «une statue de mémoire, contre la pensée unique dans notre époque du tout-au-marché».

Jean Batou, professeur à l’Université de Lausanne, représentera les historiens lors de cet hommage. Spécialiste de l’histoire contemporaine, il travaille sur la mondialisation, qui prend ses racines à l’époque des grandes découvertes. «Servet et Calvin, c’est la gauche et la droite de la Réforme, résume-t-il. Face à l’homme déchu de Calvin, que seule peut sauver la grâce divine, Servet remet l’homme au centre. C’est très moderne», précise celui qui est aussi candidat au Conseil national sur la liste de Solidarités.

Après avoir été récupéré par les libres-penseurs il y a cent ans, Servet deviendrait-il aujourd’hui un héros altermondialiste? Sa réhabilitation apparaît davantage en tout cas comme un geste politique de la gauche au pouvoir en ville que comme l’acte expiatoire de toute la Cité et toute l’Eglise de Calvin. L’Eglise protestante genevoise a du reste été tenue à l’écart de cette démarche. Sa direction a bien été invitée à la cérémonie de lundi mais elle ne pourra s’y rendre, pour cause de séminaire à l’extérieur. La paroisse de Champel-Malagnou a bien prévu un hommage de son côté, mais plus tard. Il n’y aura pas pourtant de polémiques. Les critiques contre Calvin sont aujourd’hui libérées et les cendres de Servet bien refroidies.

Médecin, Michel Servet avait mis en évidence la circulation sanguine cœur-poumon. Acquis à la Réforme, il se disputera des années durant avec Calvin en contestant le dogme de la Trinité et le baptême des enfants. «C’était un visionnaire, note Isabelle Graesslé, mais son message était inaudible dans une époque gouvernée par l’idée d’un monde trinitaire. En faire une victime du fanatisme est toutefois un anachronisme.» Fuyant le Dauphiné, où l’Inquisition l’a condamné à mort, il se jette dans la gueule du loup en venant à Genève. Sa condamnation au bûcher par l’autorité civile de Genève consolidera l’influence de Calvin, alors contestée.

Pour le pasteur Vincent ­Schmid, auteur d’une biographie de Servet, le premier apôtre de la tolérance, c’est Sébastien Castellion, celui qui prendra la défense de Servet dans son Traité des hérétiques et à qui on doit la célèbre phrase: «Tuer un homme, ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme.»

Avis à Rémy Pagani: Castellion n’a encore ni rue ni monument à Genève. Servet, lui, est vraiment à la mode. Le groupe de productions lyriques Genevavox présente ce mois un opéra en trois actes intitulé Le Procès de Michel Servet. «Nous ne proposons pas des personnages en noir et blanc, assure Shauna Beesley, la compositrice, une Anglo-Australienne de Genève. Nous explorons les zones grises: Servet a sans doute péché par arrogance et naïveté.»

www.genevavox.net


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