mardi 28 août 2012

Sébastien Castellion présenté par Xavier Leblond

Voici un exposé présenté publiquement par M. Xavier Leblond.

Il a eu la gentillesse de m'autoriser à le publier sur mon blog.

Bonne lecture.


Le grand renouveau de la renaissance est la re-découverte des auteurs de l’Antiquité. Ainsi, si la théologie catholique s’était fondée sur la philosophie aristotélicienne, il me semble que la théologie de Calvin va se fonder sur celle de Platon. On peut retrouver dans l’Institution de la religion chrétienne, des références à la République, aux Lois et à la Politique qui semblent modifier sa vision [celle de Calvin] de l’Etat ; en effet ce livre prône un semblant de démocratie au moment où tous les pays sont des monarchies absolues, la liberté de conscience, le libre-examen. Parmi les livres qui ont modifié la conception de Dieu de Calvin, il y aurait probablement le Timée, mais il n’est jamais bon de se limiter à un seul auteur. Rappelons-nous que lors de son premier passage à Genève, il fut condamné pour antitrinitarisme. Mais, il ne commettra pas deux fois la même erreur, puisqu’il condamnera Servet pour hérésie.
Alors c’est à partir de ce moment que Castellion apparaît, semblant faire sienne la citation de Terence, « rien d’humain ne m’est étranger ». Et durant, toute sa vie, il semble avoir tenté de faire respecter cette maxime du même auteur « autant d’hommes, autant d’opinions », partout où elle était bafouée. Pour moi ici deux hommes se font face, Calvin le théologien et Castellion l’humaniste.

Sébastien Chatillon
Ou la liberté de croyance, de pensée, et du libre examen
Mais avant de commencer, une petite définition : hérésie du grec haeresis, faire un choix.
Né en 1515 dans le Bugey, près de Nantua. Nous ignorons presque tout de l’enfance de Sébastien Chatillon à l’exception de son père un paysan laborieux et peu cultivé mais honnête, qui lui apprit deux choses : avoir en horreur le vol et le mensonge.
A 20 ans il est étudiant à Lyon sans doute remarqué par un parent plus aisé ou un prélat. Ses maîtres sont Jean Raynier ou Bathélémy Aneau. Il devient précepteur. Il se passionne pour Homère, Virgile ou Horace mais aussi pour J-C qu’il a l’impression d’approcher de près dans les Évangiles. Par coquetterie littéraire, il latinise son nom, Chateillon devenant Castellio ou Castalio, en référence à la nymphe Castalie. Il publie des recueils de poème (les Sebastyanax) en grec et en latin. A 22 ans il fait donc partie d’un cercle littéraire dont le centre semble être tour à tour Ducher, Nicolas Bourbon, ou Jean Voulté.
Le passage à la Réforme :
Ces hommes sont tous, proches de la Réforme. La Renaissance est pour eux le refleurissement de la pensée humaine. Leur religion n’est plus qu’un christianisme philosophique et moral. Ce renouveau d’opinion religieuse n’est pas du goût de tout le monde et certains humanistes pour avoir afficher des opinions trop évangéliques sont arrêtés par l’Inquisition et brûlés. En janvier 1540, à Lyon, trois luthériens sont condamnés au bûcher. Castellion assiste peut-être à ces exécutions et l’on peut concevoir que ce fut déterminant pour lui. Il commence alors à douter du catholicisme qui brûle des gens pour leurs opinions religieuses. Autre point décisif, en 1536 paraît la première édition de l’Institution de la religion chrétienne de Jean Calvin. Retenons en deux idées qui disparaitront des prochaines éditions :
- liberté absolue de foi religieuse.
- clémence vis-à-vis des hérétiques.
Castellion enthousiasmé par cet ouvrage y voit le manifeste de liberté spirituelle que tout le monde attendait et tient absolument à rencontrer son auteur. Il arrive à Strasbourg en mai 1540 et loge dans la maison même de Calvin en tant que pensionnaire. Il fait même, durant un temps, partie du cercle de ses intimes. Au printemps 1541, une épidémie de peste se déclare à Strasbourg. Castellion, se dévoue pour soigner deux proches du réformateur, Malherbe et Louis de Richebourg. Tels sont les premiers contacts entre le réformateur et celui qui à Strasbourg fait figure de fils spirituel
Le retour à Genève :
En septembre 1541, le conseil de Genève prie Calvin et Farel qui sont à Strasbourg de revenir. Ils reprennent leur travail là où ils l’ont laissé. Castellion s’est joint à eux. A 26 ans à peine, les connaissances de ce dernier sont étendues, il maîtrise à la perfection, le grec, le latin, l’hébreu.
Castellion pédagogue :
Calvin veut fonder une université de théologie pour former les pasteurs. Calvin soumet au Conseil de Genève un cycle d’enseignement préparatoire « que l’on tâche à avoir homme à cela faire savant, et qu’on le salarie tellement qu’il puisse enseigner les pauvres sans rien leur demander de salaire et aussi que chacun soit tenu d’envoyer ses enfants à l’école et de les faire apprendre… » La Réforme partout où elle prenait pied se hâtait d’organiser un enseignement populaire. Calvin choisit Castellion comme régent du collège de Rive. Castellion, est un pédagogue doué. En 1542, il écrit pour ses élèves les « Dialogues Sacrés » dont on ne dénombre pas moins de 134 éditions. Les Dialogues Sacrés ne tardent pas à devenir le livre de chevet de la jeunesse cultivée et deviennent un best-seller pour les lycéens Allemands pendant le 17ème et le 18ème. Leur succès était dû au fait que Castellion avait créé une littérature latine à la hauteur des jeunes lycéens, basée sur des histoires bibliques au lieu d’auteurs païens souvent trop difficiles ou trop légers pour eux. Castellion dira lui même : « J’ai voulu descendre à la porté des enfants, et pour eux je ne rougirai de rien, pas même d’aller à cheval sur un bâton ».
En 1543, la peste noire frappe Genève. Castellion, se propose pour visiter les malades.

La rupture avec Calvin :
Castellion désirait accéder à un ministère et s’en faisait une haute idée. Mais il veut rester libre de penser librement. Castellion, bien qu’il soit passé à la Réforme est resté un humaniste. Il n’a pas fait de rupture avec l’humanisme comme l’a fait Calvin et n’est pas d’accord avec les idées de celui-ci. Son ministère lui est refusé car il ne veut pas faire allégeance aux idées de Calvin. Il restera laïc, mais personne ne pourra l’empêcher de se consacrer quand même à l’œuvre de l’Esprit. Il s’y consacrera, non en dépositaire sacré de la Vérité éternelle, mais en laïque, en humaniste, en libre chercheur, en libre croyant. Il part donc s’installer à Bâle. Jusqu’en 1553, il va y travailler comme correcteur d’imprimerie.

« LA VERITE EST NOTRE MÈRE »
La traduction de la bible :
Durant toutes ces années, il va réaliser une nouvelle traduction de la Bible, en latin en 1551, puis en Français en 1553. Son travail est reconnu comme « la première traduction vraiment française ». Elle est tout entière placée sous le signe de l’esprit critique. Il dit lui-même : « Il n’y a aucune raison de croire que Dieu ait veillé avec plus de soin sur les mots et les syllabes que sur les livres eux-mêmes, dont plusieurs sont entièrement perdus ». Autrement dit, le texte biblique peut contenir des erreurs qu’il faut corriger : il n’est pas inspiré dans sa lettre. Donc pas intouchable. Sur cette voie critique, Castellion n’allait pas s’arrêter. Ce n’est pas Spinoza qui le premier ose dire que Moïse n’a pas écrit la Tora, c’est Castellion. Il préface sa traduction latine à Édouard VI, dont le père avait fait mettre à mort tous ceux qu’il considérait comme hérétiques. Il avertit que le texte biblique a une histoire, qu’il n’est exempt ni de contradiction ni d’obscurités et que certaines précautions de lecture ne sont pas inutiles. Propos déconcertant sur un écrit tenu pour révélé et inspiré La Bible Castellion, se met à la hauteur de son public par le langage utilisé. Cet ouvrage n’est pas seulement celui d’un humaniste épris des lettres sacrées, c’est une œuvre d’hérésie protestante, très caractérisée. On y voit le parti pris d’un homme qui, ayant donné, librement son adhésion à une religion de libre examen, ne consent pas à abandonner ses droits spirituels et affirme, avec une opiniâtreté calme, sa volonté de maintenir le libre examen et d’en user sans contrôle.
De l’art de douter et de croire, d’ignorer et de savoir :
C’est plus qu’un discours sur la méthode : c’est l’exposé systématique de la pensée d’un libre penseur religieux, qui ne redoute aucune investigation scientifique et qui pose le doute méthodique à la base de ses spéculations. Il dit lui-même : « or il y a dans la religion des choses incertaines et obscures ; donc ne pas douter de ces choses est plein de péril. »
Avant d’entrer dans la discussion des grands problèmes religieux, il estime qu’il faut arrêter une rigoureuse méthode et, comme s’il était déjà formé à nos disciplines modernes, il s’ingénie à esquisser une originale et audacieuse théorie de la connaissance. Il fait de la Raison, la fille de Dieu. Donc si, dans le domaine religieux et moral, l’expérience ou l’intuition occupent une place prépondérante, c’est à la raison qu’il faut avoir recours dans les questions que soulèvent la critique du texte, l’historicité du livre ou l’exégèse biblique. Il est dans la lignée des philosophes qui ont voulu chercher à étudier le fait religieux, à la lumière d’une philosophie libérée et respectueuse.

L’APÔTRE DE LA TOLÉRANCE :
L’affaire Servet :
Michel Servet (1509-1553) est un érudit né en Catalogne. Disciple d’Érasme, il n’utilise que son libre examen pour rechercher la vérité. Il publie deux ouvrages majeurs qui lui vaudront les foudres de l’Inquisition et de tous les mouvements de la Réforme.
Dans le premier ouvrage, ne trouvant pas trace de la Trinité dans les écritures, il ne veut pas y croire. Il veut sans doute réconcilier tout le monde et créer une religion universelle. Dénoncé par son éditeur lyonnais, à l’Inquisition en 1553, il est arrêté mais arrive à s’échapper. Il se réfugie à Genève, mais y est arrêté. Il est jugé pour hérésie par le magistrat de Genève, alors que paradoxalement, Calvin prône une séparation du temporel et du spirituel. Il est brûlé avec ses œuvres au bûcher de Champel dans la banlieue de Genève.
Du traité des hérétiques :
Au 16ème siècle, on brûle, on torture, sans que cela ne gêne personne. Mais là, c’est un Calvin qui, officieusement, a condamné à mort un homme pour ses opinions religieuses, le même homme qui quinze ans plus tôt prêchait la clémence vis-à-vis des hérétiques. Il est d’ailleurs probable que Calvin n’en ait pas été très fier. Après coup, il a voulu se justifier en publiant Défense de la vraie foi. Castellion y répond par le Traité des hérétiques, sorte d’anti-manuel d’inquisiteur. Nous y retrouvons les sentences de réformateurs (Luther, Zwingli, Érasme et même Calvin) et de père de l’Église sur la manière dont doivent être traités les hérétiques. Castellion écrit sous les pseudonymes de Martin Bellie, Georges Kleinberg et Basile Montfort. Sa doctrine est la même que celle d’Érasme : elle consiste à tolérer des opinions religieuses différentes et à imiter J-C.
Martin Bellie écrit : « Toutefois, il n’y a aucune secte, laquelle ne condamne toutes les autres, et ne veuille régner toute seule ». Et un peu plus loin il écrit :
« Laquelle chose est manifeste en ce que nous voyons qu’il n’y a presque aucune secte de toutes les sectes qui ne considère les autres pour hérétiques : de sorte que si en cette cité ou région tu es estimé vrai fidèle, dans la prochaine tu seras estimé comme hérétique. Tellement que si quelqu’un veut vivre aujourd’hui, il lui est nécessaire d’avoir autant de fois et de religions, qu’il est de cités et de sectes ». Dans cette Europe où les mouvements religieux chrétiens ne cessent de naître, il relativise. D’après lui aucun courant n’est meilleur qu’un autre. Celui qui serait meilleur que les autres serait celui qui rendrait l’homme meilleur. Vaste programme !!!
Georges Kleinberg (alias Castellion) affirme que seul Dieu peut juger définitivement qui est hérétique ; le magistrat séculier doit punir les bandits, les traîtres, les parjures, etc,… Il a le devoir de protéger les justes contre les injustes. Il y a là séparation du temporel et du spirituel. Mais attention, à ne pas faire d’anachronisme, Castellion vit dans un siècle où tout le monde croit en Dieu ; lui ne tolère pas les athées que sont pour lui, Rabelais ou Etienne Dolet. Suite à cela Calvin furieux charge de Bèze de répondre à Castellion. Il publie en 1554 L’Anti-Bellius ou Traité de l’Autorité du Magistrat.
Contre le libelle de Calvin :
Ce texte est une forme de dialogue entre Calvin et Castellion qui prend le pseudonyme de Vaticanus. Contrairement au Traité des hérétiques, ce texte ne prend pas de gants. Il nous décrit Calvin comme un monstre assoiffé de sang, qui veut brûler tout le monde en dehors de ceux qui ne sont pas calvinistes, un tyran qui a mis Genève en coupe réglée, un tueur de gens pieux, un dangereux énervé qui trempe sa plume dans le sang de ses victimes, etc.
Il oppose à Calvin une éthique du droit de penser qui n’a pas vieilli et qui rejoint nos préoccupations les plus actuelles à propos de la liberté d’expression. Son leitmotiv est que l’hérésie n’est pas un crime et que le crime de penser n’existe pas. Ce qui revient à sanctuariser l’acte de pensée :
« Tuer un homme ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme » ou « Servet a combattu avec des arguments et des écrits, il fallait le combattre avec des arguments et des écrits ».
Conseil à la France désolée :
Face aux guerres de religion, en France, Castellion réagit et rédige Conseil à la France désolée en 1562. Pour lui, la France est rendue malade par le forcement des consciences que pratiquent aussi bien les catholiques papistes que les huguenots évangéliques. Il les renvoie dos à dos.
« Il reste maintenant le septième point, qui est d’arranger le différent entre les deux religions libres, lequel point,[…] c’est de permettre en France deux Églises ».
« Car il faudrait simplement dire à ceux qui forcent les consciences d’autrui :’’voudriez-vous qu’on força les vôtres ? »
Conseils de sagesse, de bonté, de justice, de tolérance que les Réformés ont si souvent rejetés. Castellion s’est désolidarisé de l’intolérance calviniste mais pas de l’idéal de la Réforme.
Mais ces conseils prodigués par Castellion n’étaient bons qu’à provoquer de nouvelles hérésies aussi bien pour Calvin que pour Rome, donc ils étaient néfastes. On préférera continuer à se massacrer pour « l’honneur de Dieu », plutôt que de reconnaître que les hommes sont tous frères.
Castellion meurt à Bâle en 1563, épuisé par les disputes et les querelles théologiques.
Un beau projet, la Réforme - liberté de croyance, de pensée, libre examen - qui a été tué par des Confessions de foi et des dogmes. La pensée s’est figée et la Réforme est morte. Seule Castellion a voulu croire dans son utopie et a essayé de la mener jusqu’au bout sans y parvenir.
Voici l’opinion d’un luthérien des temps modernes sur la Réforme :
« La nouvelle orthodoxie qui prévalue depuis 1530, en Allemagne et, plus tard, en Angleterre, n’est qu’un catholicisme émondé : mêmes dogmes fondamentaux ; même foi aveugle, même intolérance, même exclusivisme, même antipathie pour la liberté de conscience et d’examen ».
Et Voltaire qui écrivait en son temps :
Tu sais que souvent, le Malin
A caché sa queue et sa griffe
Sous la tiare d’un pontife et le manteau d’un Calvin…
Je n’ai point tort quand je déteste
Ces assassins religieux
Employant le fer et le feu
Pour servir le Père Céleste.
VOLTAIRE, les Torts
Bibliographie :
Sebastien Castellion et la réforme calviniste, les deux réformes, Giran E.
Sebastien Castellion, sa vie son œuvre, histoire du protestantisme libérale, T.1, Buisson, F.
Michel Servet du bûcher à la liberté de conscience, Schmid, V.
Traité des hérétiques, Castellion, S.
Conseil à la France désolée, Castellion, S.
De l’art de douter et de croire, d’ignorer et de savoir, Castellion, S.
Contre le libelle de Calvin, Castellion, S.

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