Il a eu la gentillesse de m'autoriser à le publier sur mon blog.
Bonne lecture.
Le
grand renouveau de la renaissance est la re-découverte des auteurs
de l’Antiquité. Ainsi, si la théologie catholique s’était
fondée sur la philosophie aristotélicienne, il me semble que la
théologie de Calvin va se fonder sur celle de Platon. On peut
retrouver dans l’Institution de la religion chrétienne, des
références à la République,
aux
Lois et
à la
Politique
qui semblent modifier sa vision [celle de Calvin] de l’Etat ;
en effet ce livre prône un semblant de démocratie au moment où
tous les pays sont des monarchies absolues, la liberté de
conscience, le libre-examen. Parmi les livres qui ont modifié la
conception de Dieu de Calvin, il y aurait probablement le Timée,
mais il n’est jamais bon de se limiter à un seul auteur.
Rappelons-nous que lors de son premier passage à Genève, il fut
condamné pour antitrinitarisme. Mais, il ne commettra pas deux fois
la même erreur, puisqu’il condamnera Servet pour hérésie.
Alors
c’est à partir de ce moment que Castellion apparaît, semblant
faire sienne la citation de Terence, « rien
d’humain
ne m’est étranger ».
Et durant, toute sa vie, il semble avoir tenté de faire respecter
cette maxime du même auteur « autant
d’hommes, autant d’opinions »,
partout où elle était bafouée. Pour moi ici deux hommes se font
face, Calvin le théologien et Castellion l’humaniste.
Sébastien
Chatillon
Ou
la liberté de croyance, de pensée, et du libre examen
Mais
avant de commencer, une petite définition : hérésie du grec
haeresis, faire un choix.
Né
en 1515 dans le Bugey, près de Nantua. Nous ignorons presque tout de
l’enfance de Sébastien Chatillon à l’exception de son père un
paysan laborieux et peu cultivé mais honnête, qui lui apprit deux
choses : avoir en horreur le vol et le mensonge.
A
20 ans il est étudiant à Lyon sans doute remarqué par un parent
plus aisé ou un prélat. Ses maîtres sont Jean Raynier ou Bathélémy
Aneau. Il devient précepteur. Il se passionne pour Homère, Virgile
ou Horace mais aussi pour J-C qu’il a l’impression d’approcher
de près dans les Évangiles. Par coquetterie littéraire, il
latinise son nom, Chateillon devenant Castellio ou Castalio, en
référence à la nymphe Castalie. Il publie des recueils de poème
(les Sebastyanax) en grec et en latin. A 22 ans il fait donc partie
d’un cercle littéraire dont le centre semble être tour à tour
Ducher, Nicolas Bourbon, ou Jean Voulté.
Le
passage à la Réforme :
Ces
hommes sont tous, proches de la Réforme. La Renaissance est pour eux
le refleurissement de la pensée humaine. Leur religion n’est plus
qu’un christianisme philosophique et moral. Ce renouveau d’opinion
religieuse n’est pas du goût de tout le monde et certains
humanistes pour avoir afficher des opinions trop évangéliques sont
arrêtés par l’Inquisition et brûlés. En janvier 1540, à Lyon,
trois luthériens sont condamnés au bûcher. Castellion assiste
peut-être à ces exécutions et l’on peut concevoir que ce fut
déterminant pour lui. Il commence alors à douter du catholicisme
qui brûle des gens pour leurs opinions religieuses. Autre point
décisif, en 1536 paraît la première édition de l’Institution de
la religion chrétienne de Jean Calvin. Retenons en deux idées qui
disparaitront des prochaines éditions :
-
liberté absolue de foi religieuse.
-
clémence vis-à-vis des hérétiques.
Castellion
enthousiasmé par cet ouvrage y voit le manifeste de liberté
spirituelle que tout le monde attendait et tient absolument à
rencontrer son auteur. Il arrive à Strasbourg en mai 1540 et loge
dans la maison même de Calvin en tant que pensionnaire. Il fait
même, durant un temps, partie du cercle de ses intimes. Au printemps
1541, une épidémie de peste se déclare à Strasbourg. Castellion,
se dévoue pour soigner deux proches du réformateur, Malherbe et
Louis de Richebourg. Tels sont les premiers contacts entre le
réformateur et celui qui à Strasbourg fait figure de fils spirituel
Le
retour à Genève :
En
septembre 1541, le conseil de Genève prie Calvin et Farel qui sont à
Strasbourg de revenir. Ils reprennent leur travail là où ils l’ont
laissé. Castellion s’est joint à eux. A 26 ans à peine, les
connaissances de ce dernier sont étendues, il maîtrise à la
perfection, le grec, le latin, l’hébreu.
Castellion
pédagogue :
Calvin
veut fonder une université de théologie pour former les pasteurs.
Calvin soumet au Conseil de Genève un cycle d’enseignement
préparatoire « que
l’on tâche à avoir homme à cela faire savant, et qu’on le
salarie tellement qu’il puisse enseigner les pauvres sans rien leur
demander de salaire et aussi que chacun soit tenu d’envoyer ses
enfants à l’école et de les faire apprendre… » La
Réforme partout où elle prenait pied se hâtait d’organiser un
enseignement populaire. Calvin choisit Castellion comme régent du
collège de Rive. Castellion, est un pédagogue doué. En 1542, il
écrit pour ses élèves les « Dialogues Sacrés » dont
on ne dénombre pas moins de 134 éditions. Les Dialogues Sacrés ne
tardent pas à devenir le livre de chevet de la jeunesse cultivée et
deviennent un best-seller pour les lycéens Allemands pendant le
17ème
et le 18ème.
Leur succès était dû au fait que Castellion avait créé une
littérature latine à la hauteur des jeunes lycéens, basée sur des
histoires bibliques au lieu d’auteurs païens souvent trop
difficiles ou trop légers pour eux. Castellion dira lui
même : « J’ai
voulu descendre à la porté des enfants, et pour eux je ne rougirai
de rien, pas même d’aller à cheval sur un bâton ».
En
1543, la peste noire frappe Genève. Castellion, se propose pour
visiter les malades.
La
rupture avec Calvin :
Castellion
désirait accéder à un ministère et s’en faisait une haute idée.
Mais il veut rester libre de penser librement. Castellion, bien qu’il
soit passé à la Réforme est resté un humaniste. Il n’a pas fait
de rupture avec l’humanisme comme l’a fait Calvin et n’est pas
d’accord avec les idées de celui-ci. Son ministère lui est refusé
car il ne veut pas faire allégeance aux idées de Calvin. Il restera
laïc, mais personne ne pourra l’empêcher de se consacrer quand
même à l’œuvre de l’Esprit. Il s’y consacrera, non en
dépositaire sacré de la Vérité éternelle, mais en laïque, en
humaniste, en libre chercheur, en libre croyant. Il part donc
s’installer à Bâle. Jusqu’en 1553, il va y travailler comme
correcteur d’imprimerie.
« LA
VERITE EST NOTRE MÈRE »
La
traduction de la bible :
Durant
toutes ces années, il va réaliser une nouvelle traduction de la
Bible, en latin en 1551, puis en Français en 1553. Son travail est
reconnu comme « la première traduction vraiment française ».
Elle est tout entière placée sous le signe de l’esprit critique.
Il dit lui-même : « Il
n’y a aucune raison de croire que Dieu ait veillé avec plus de
soin sur les mots et les syllabes que sur les livres eux-mêmes, dont
plusieurs sont entièrement perdus ». Autrement
dit, le texte biblique peut contenir des erreurs qu’il faut
corriger : il n’est pas inspiré dans sa lettre. Donc pas
intouchable. Sur cette voie critique, Castellion n’allait pas
s’arrêter. Ce n’est pas Spinoza qui le premier ose dire que
Moïse n’a pas écrit la Tora, c’est Castellion. Il préface sa
traduction latine à Édouard VI, dont le père avait fait mettre à
mort tous ceux qu’il considérait comme hérétiques. Il avertit
que le texte biblique a une histoire, qu’il n’est exempt ni de
contradiction ni d’obscurités et que certaines précautions de
lecture ne sont pas inutiles. Propos déconcertant sur un écrit tenu
pour révélé et inspiré La Bible Castellion, se met à la hauteur
de son public par le langage utilisé. Cet ouvrage n’est pas
seulement celui d’un humaniste épris des lettres sacrées, c’est
une œuvre d’hérésie
protestante,
très caractérisée. On y voit le parti pris d’un homme qui, ayant
donné, librement son adhésion à une religion de libre examen, ne
consent pas à abandonner ses droits spirituels et affirme, avec une
opiniâtreté calme, sa volonté de maintenir le libre examen et d’en
user sans contrôle.
De
l’art de douter et de croire, d’ignorer et de savoir :
C’est
plus qu’un discours
sur la méthode :
c’est l’exposé systématique de la pensée d’un libre penseur
religieux, qui ne redoute aucune investigation scientifique et qui
pose le doute méthodique à la base de ses spéculations. Il dit
lui-même : « or
il y a dans la religion des choses incertaines et obscures ;
donc ne pas douter de ces choses est plein de péril. »
Avant
d’entrer dans la discussion des grands problèmes religieux, il
estime qu’il faut arrêter une rigoureuse méthode et, comme s’il
était déjà formé à nos disciplines modernes, il s’ingénie à
esquisser une originale et audacieuse théorie
de la connaissance. Il
fait de la Raison,
la fille de Dieu.
Donc si, dans le domaine religieux et moral, l’expérience ou
l’intuition occupent une place prépondérante, c’est à la
raison qu’il faut avoir recours dans les questions que soulèvent
la critique du texte, l’historicité du livre ou l’exégèse
biblique. Il est dans la lignée des philosophes qui ont voulu
chercher à étudier le fait religieux, à la lumière d’une
philosophie libérée et respectueuse.
L’APÔTRE
DE LA TOLÉRANCE :
L’affaire
Servet :
Michel
Servet (1509-1553) est un érudit né en Catalogne. Disciple
d’Érasme, il n’utilise que son libre examen pour rechercher la
vérité. Il publie deux ouvrages majeurs qui lui vaudront les
foudres de l’Inquisition et de tous les mouvements de la Réforme.
Dans
le premier ouvrage, ne trouvant pas trace de la Trinité dans les
écritures, il ne veut pas y croire. Il veut sans doute réconcilier
tout le monde et créer une religion universelle. Dénoncé par son
éditeur lyonnais, à l’Inquisition en 1553, il est arrêté mais
arrive à s’échapper. Il se réfugie à Genève, mais y est
arrêté. Il est jugé pour hérésie par le magistrat de Genève,
alors que paradoxalement, Calvin prône une séparation du temporel
et du spirituel. Il est brûlé avec ses œuvres au bûcher de
Champel dans la banlieue de Genève.
Du
traité des hérétiques :
Au
16ème
siècle, on brûle, on torture, sans que cela ne gêne personne. Mais
là, c’est un Calvin qui, officieusement, a condamné à mort un
homme pour ses opinions religieuses, le même homme qui quinze ans
plus tôt prêchait la clémence vis-à-vis des hérétiques. Il est
d’ailleurs probable que Calvin n’en ait pas été très fier.
Après coup, il a voulu se justifier en publiant Défense
de la vraie foi. Castellion
y répond par le Traité
des hérétiques,
sorte d’anti-manuel d’inquisiteur. Nous y retrouvons les
sentences de réformateurs (Luther, Zwingli, Érasme et même Calvin)
et de père de l’Église sur la manière dont doivent être traités
les hérétiques. Castellion écrit sous les pseudonymes de Martin
Bellie, Georges Kleinberg et Basile Montfort. Sa doctrine est la même
que celle d’Érasme : elle consiste à tolérer des opinions
religieuses différentes et à imiter J-C.
Martin
Bellie écrit :
« Toutefois, il n’y a aucune secte, laquelle ne condamne
toutes les autres, et ne veuille régner toute seule ».
Et un peu plus loin il écrit :
« Laquelle
chose est manifeste en ce que nous voyons qu’il n’y a presque
aucune secte de toutes les sectes qui ne considère les autres pour
hérétiques : de sorte que si en cette cité ou région tu es
estimé vrai fidèle, dans la prochaine tu seras estimé comme
hérétique. Tellement que si quelqu’un veut vivre aujourd’hui,
il lui est nécessaire d’avoir autant de fois et de religions,
qu’il est de cités et de sectes ». Dans
cette Europe où les mouvements religieux chrétiens ne cessent de
naître, il relativise. D’après lui aucun courant n’est meilleur
qu’un autre. Celui qui serait meilleur que les autres serait celui
qui rendrait l’homme meilleur. Vaste programme !!!
Georges
Kleinberg (alias Castellion) affirme que seul Dieu peut juger
définitivement qui est hérétique ; le magistrat séculier
doit punir les bandits, les traîtres, les parjures, etc,… Il a le
devoir de protéger les justes contre les injustes. Il y a là
séparation du temporel et du spirituel. Mais attention, à ne pas
faire d’anachronisme, Castellion vit dans un siècle où tout le
monde croit en Dieu ; lui ne tolère pas les athées que sont
pour lui, Rabelais ou Etienne Dolet. Suite à cela Calvin furieux
charge de Bèze de répondre à Castellion. Il publie en 1554
L’Anti-Bellius
ou Traité de l’Autorité du Magistrat.
Contre
le libelle de Calvin :
Ce
texte est une forme de dialogue entre Calvin et Castellion qui prend
le pseudonyme de Vaticanus. Contrairement au Traité
des hérétiques,
ce texte ne prend pas de gants. Il nous décrit Calvin comme un
monstre assoiffé de sang, qui veut brûler tout le monde en dehors
de ceux qui ne sont pas calvinistes, un tyran qui a mis Genève en
coupe réglée, un tueur de gens pieux, un dangereux énervé qui
trempe sa plume dans le sang de ses victimes, etc.
Il
oppose à Calvin une éthique du droit de penser qui n’a pas
vieilli et qui rejoint nos préoccupations les plus actuelles à
propos de la liberté d’expression. Son leitmotiv est que l’hérésie
n’est pas un crime et que le crime de penser n’existe pas. Ce qui
revient à sanctuariser l’acte de pensée :
« Tuer
un homme ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un
homme » ou
« Servet
a combattu avec des arguments et des écrits, il fallait le combattre
avec des arguments et des écrits ».
Conseil
à la France désolée :
Face
aux guerres de religion, en France, Castellion réagit et rédige
Conseil
à la France désolée en
1562. Pour lui, la France est rendue malade par le forcement des
consciences que pratiquent aussi bien les catholiques papistes que
les huguenots évangéliques. Il les renvoie dos à dos.
« Il
reste maintenant le septième point, qui est d’arranger le
différent entre les deux religions libres, lequel point,[…] c’est
de permettre en France deux Églises ».
« Car
il faudrait simplement dire à ceux qui forcent les consciences
d’autrui :’’voudriez-vous qu’on força les vôtres ? »
Conseils
de sagesse, de bonté, de justice, de tolérance que les Réformés
ont si souvent rejetés. Castellion s’est désolidarisé de
l’intolérance calviniste mais pas de l’idéal de la Réforme.
Mais
ces conseils prodigués par Castellion n’étaient bons qu’à
provoquer de nouvelles hérésies aussi bien pour Calvin que pour
Rome, donc ils étaient néfastes. On préférera continuer à se
massacrer pour « l’honneur de Dieu », plutôt que de
reconnaître que les hommes sont tous frères.
Castellion
meurt à Bâle en 1563, épuisé par les disputes et les querelles
théologiques.
Un
beau projet, la Réforme - liberté de croyance, de pensée, libre
examen - qui a été tué par des Confessions de foi et des dogmes.
La pensée s’est figée et la Réforme est morte. Seule Castellion
a voulu croire dans son utopie et a essayé de la mener jusqu’au
bout sans y parvenir.
Voici
l’opinion d’un luthérien des temps modernes sur la Réforme :
« La
nouvelle orthodoxie qui prévalue depuis 1530, en Allemagne et, plus
tard, en Angleterre, n’est qu’un catholicisme émondé :
mêmes dogmes fondamentaux ; même foi aveugle, même
intolérance, même exclusivisme, même antipathie pour la liberté
de conscience et d’examen ».
Et
Voltaire qui écrivait en son temps :
Tu
sais que souvent, le Malin
A
caché sa queue et sa griffe
Sous
la tiare d’un pontife et le manteau d’un Calvin…
…Je
n’ai point tort quand je déteste
Ces
assassins religieux
Employant
le fer et le feu
Pour
servir le Père Céleste.
VOLTAIRE,
les Torts
Bibliographie :
Sebastien
Castellion et la réforme calviniste, les deux réformes, Giran E.
Sebastien
Castellion, sa vie son œuvre, histoire du protestantisme libérale,
T.1, Buisson, F.
Michel
Servet du bûcher à la liberté de conscience, Schmid, V.
Traité
des hérétiques, Castellion, S.
Conseil
à la France désolée, Castellion, S.
De
l’art de douter et de croire, d’ignorer et de savoir, Castellion,
S.
Contre
le libelle de Calvin, Castellion, S.
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