Il a eu la gentillesse de m'autoriser à le publier sur mon blog.
Bonne lecture.
Blog consacré à la liberté de croyance et l'anti-trinitarisme autour de Michel Servet et Sébastien Castellion
Servet« Michel Servet eut la singulière infortune d’avoir été brûlé deux fois : en effigie par les catholiques, et par les protestants en chair et en os […] Son débat avec Calvin […] c’est en fait le conflit intérieur de la droite et de la gauche de la Réforme ». C’est par ces mots que s’ouvre la biographie de Servet, publiée il y a presque 60 ans, pour le 400e anniversaire de son supplice, par Roland Bainton, le grand spécialiste des origines du protestantisme de l’Université de Yale.
(Ci-dessous, Servet représenté par le peintre mexicain Diego Rivera)
Né en 1511 à Villanueva, une petite bourgade d’Aragon, Servet est d’origine marrane par sa mère, issue d’une famille de juifs convertis. Sa conscience s’éveille au cours de la brève période de tolérance religieuse que connaît l’Espagne du premier tiers du 16e siècle. L’édition polyglotte complète de l’Ancien et du Nouveau Testament en hébreu et en grec vient d’être achevée. Le mouvement des Alumbrados – des Illuminés (sans rapport avec les affabulations du Da Vinci Code) appelle à une « réforme de l’Église par les hommes de l’Esprit », et la cour du roi Charles, récemment élu empereur, s’enthousiasme pour la pensée humaniste d’Erasme.
Dès ses quatorze ans, Servet est au service du franciscain Juan de Quintana, un savant humaniste proche de la Cour, avant d’étudier le droit à Toulouse. Il y découvre que rien dans les Écritures n’étaye le dogme de la Trinité, admis pour la première fois, ainsi que le pouvoir temporel de la papauté, par le Concile de Nicée, en 325. On sait que juifs et musulmans, dont il connaissait les croyances, percevaient ce dogme comme une concession au polythéisme. En se rangeant à leur avis sur ce point, Servet abolissait l’une des principales frontières entre religions du Livre. Une démarche politiquement explosive, une génération seulement après la victoire définitive des Rois Catholiques sur les Maures et après l’expulsion des juifs de la Péninsule ibérique, au moment du premier siège de Vienne par les Turcs.
En 1529, il accompagne l’empereur au Vatican. Il laissera de sa rencontre avec le pape Clément VII, un témoignage empreint d’une indignation toute luthérienne : « nous l’avons vu, porté dans la pompe, sur les épaules des princes, […] se faisant adorer le long des rues par le peuple à genoux, si bien que tous ceux qui avaient réussi à baiser ses pieds ou ses pantoufles s’estimaient plus fortunés que le reste, et proclamaient qu’ils avaient obtenu nombre d’indulgences, grâce auxquelles des années de souffrance infernales leur seraient remises. Ô la plus vile des bêtes ! ô la plus effrontée des catins ! »
En 1530, on le retrouve à Bâle, fraîchement acquise à la Réforme. Il y exprime clairement son rejet de la Trinité : pour lui, Jésus est bien un homme et il n’est Dieu que dans la mesure où l’homme est aussi capable d’être Dieu; il est un fils du Dieu éternel, et non le fils éternel de Dieu. Une distinction à laquelle il ne renoncera jamais, même au pied du bûcher. Quant au Saint-Esprit, il n’est que l’esprit de Dieu en nous.
Ecoutons-le défendre ses conceptions dans son traité Sur les erreurs de la Trinité : « Ceux qui font une séparation tranchée entre l’humanité et la divinité ne comprennent pas la nature de l’humanité, dont c’est justement le caractère que Dieu puisse lui impartir de la divinité […] Non point en vérité par une dégradation de la divinité, mais par une exaltation de l’humanité ». Et méditons en particulier cette phrase lumineuse : « Ne vous émerveillez pas que j’adore comme Dieu ce que vous appelez l’humanité ». Sur un ton messianique, il ajoute encore : « Quand les temps seront accomplis […], dans la mesure où il n’y aura plus de raisons pour qu’il y ait de gouvernement, tout pouvoir et toute autorité seront abolis […] ». Thomas Müntzer, de 22 ans son aîné, théologien hérétique et leader de la révolte des paysans allemands, ne défendait-il pas déjà que tous les royaumes terrestres se consumeraient dans le royaume de Dieu.
Lorsqu’il publie ses thèses, Servet voit se dresser une à une les autorités politiques et religieuses contre lui. Il va ainsi trouver refuge à Lyon, sous le nom de Michel de Villeneuve, où il commente la géographie de Ptolémée avec une sensibilité sociale aiguë qui le rapproche encore de Müntzer : « La condition des paysans allemands est affreuse, écrit-il. […] Les autorités de chaque territoire les dépouillent et les exploitent, c’est la raison de la récente révolte des paysans et de leur soulèvement contre les nobles ». Il étudie aussi la médecine à Paris, ce qui l’amène à découvrir, après le savant arabe du 13e siècle al-Nafis, la petite circulation du sang, entre le cœur et les poumons.
Établi à Vienne en Dauphiné, dès 1540, il y exerce la médecine et s’occupe d’édition. Il travaille surtout à sa somme théologique : La Restitution chrétienne. On en retiendra sa vision d’un Dieu caché, qui habite tout être, en particulier l’Homme, et toute chose. D’où sa défense du baptême à l’âge adulte, en tant qu’acte conscient et volontaire, qui le rapproche une fois de plus de Müntzer et des anabaptistes. On sait que ce défi à l’autorité des églises et des princes fera l’objet d’une répression sanglante aux 16e et 17e siècles.
Il entame une correspondance avec Calvin, lui envoyant imprudemment le manuscrit de son ouvrage. Le réformateur de Genève confie alors à Farel : « Il viendrait ici […], je ne le laisserais plus repartir vivant ». Le livre de Servet est publié clandestinement en janvier 1553, avant de tomber entre les mains d’un ami de Calvin, Guillaume de Tries, qui révèle le nom de son auteur à son cousin de Vienne pour qu’il le dénonce à l’Inquisition. Pourtant, le délateur est sommé d’obtenir des preuves de Genève, que seul Calvin peut fournir. On sait qu’il acceptera. Servet est arrêté le 4 avril, mais il parvient à s’évader trois jours plus tard. Il est donc condamné à être brûlé en effigie avec ses livres.
Le 13 août de la même année, de passage à Genève pour des raisons qu’il n’a pas été possible d’établir avec certitude, il est reconnu et arrêté, à la demande expresse de Calvin. Interrogé par le Petit Conseil, puis par le procureur général Rigot, proche des Vieux Genevois, il se défend bec et ongles. S’ensuit une dispute théologique par écrit avec Calvin, communiquée aux autres cités suisses pour avis, qui le déclarent coupable. Le 27 octobre, il est condamné à être brûlé vif pour ses opinions sur la Trinité et le baptême, avant d’être conduit au supplice par Farel, sans abjurer.
Cette mise à mort cruelle d’un « hérétique » a été pleinement soutenue par la Seigneurie genevoise, y compris par les adversaires de Calvin, et n’a pas plus suscité d’opposition au sein des autorités des villes suisses. En revanche, elle a été contestée par plus d’une voix parmi les amis de la Réforme. La plus connue est celle de Sébastien Castellion, qui s’indignera de l’usage de la violence pour faire triompher une idée : « Tuer un homme, ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme. […] Servet ayant combattu par des écrits et des raisons, c’était par des raisons et des écrits qu’il fallait le repousser », écrira-t-il en 1554, dans son Contra libellum Calvini. Mais qui dit qu’il eût fallu repousser alors les thèses de cette conscience éclairée, porte-parole de milliers d’adeptes anonymes d’un christianisme émancipé, dont le message sonne toujours si juste à nos oreilles, près d’un demi-millénaire plus tard ?
(Ci-dessous, Servet dans sa prison de Genève, Picasso, 1904)
Bref, il était temps que nous inaugurions à Genève cette statue de Michel Servet, œuvre de Clotilde Roch, sculptrice genevoise et disciple de Rodin. Conçue il y a plus de cent ans, avant même le Mur des Réformateurs, à la demande d’un comité international de libres penseurs, elle avait été refusée par les autorités municipales d’alors. En 1908, son comité de parrainage s’était donc résigné à l’offrir à Annemasse, qui l’accueillit les bras ouverts. Mais son histoire ne s’arrête pas là : ce bronze a été détruit en 1942, sur ordre du gouvernement de Vichy, et probablement recyclé par l’industrie d’armement allemande. Pour cela, sous l’Occupation nazie, la Résistance rendra hommage à cette effigie comme à l’une des premières « victimes du fascisme » en France. Après la guerre, elle sera reconstituée à l’identique et inaugurée pour la seconde fois, dans la même ville, en 1960.
A l’occasion du 500e anniversaire de la naissance de cet humaniste conséquent, deux ans à peine après le vote des Suisses pour l’interdiction de la construction des minarets, sachons faire aujourd’hui la place qu’il mérite, dans le cœur des Genevois, à cet initiateur du rapprochement entre chrétiens, juifs et musulmans ; à ce passeur aux frontières de plusieurs cultures ; à ce défenseur des faibles et des opprimés ; à cet intellectuel exigeant et courageux ; enfin, à ce contemporain des expéditions coloniales d’Hernán Cortés et de Francisco Pizzaro, qui a sans doute encore bien des choses à nous dire sur les grandeurs et misères de la mondialisation du premier 16e siècle, comme sur celles du siècle qui commence.
* Je reproduis ici le texte du discours que j'ai prononcé aujourd'hui pour l'inauguration de la statue de Servet, sur le lieu de son supplice, à l'occasion du 500e anniversaire de sa naissance.
Je me suis rendu aujourd’hui là où, en 1553, s’élevait le bûcher où périt Michel Servet.
Un lieu étroit, pentu, inconfortable au possible, notamment en raison d’une circulation intense. Il est de plus situé juste en face des bâtiments de l’hôpital cantonal de Genève. Toutes choses qui le rendent peu propice à la méditation. D’autant que de tels endroits semblent encore imprégnés des énergies négatives d’une « justice » le plus souvent disproportionnée et cruelle.
Quoi qu’il en soit, sur ces lieux, un petit groupe de personnes assistait à la levée de voile d’une statue dédiée au scientifique aragonais supplicié. Œuvre d’une élève d’Auguste Rodin, un moulage en avait été miraculeusement conservé. Quant au bronze original, il est refusé par les autorités genevoises en 1908*. Par la suite, la ville d’Annemasse en fait l’acquisition jusqu'à ce que l’occupant allemand le fasse fondre à des fins militaires.
Michel Servet est un médecin aragonais, connu notamment pour sa thèse sur l’oxygénation du sang. Il est de plus l’auteur d’ouvrages de théologie dans lesquels, entre autres, il nie l’existence de la Sainte Trinité et conteste le baptême des enfants. A une époque où l’on ne badine pas avec ces choses, il est arrêté une première fois par l’Inquisition à Vienne dans l’Isère. Condamné au bûcher, il parvient cependant à s’échapper.
Brulé une première fois en effigie après son évasion, il l’est une seconde fois le 26 octobre 1553 à Genève. Pour de vrai cette fois, et à l’instigation de Jean Calvin selon certains. Etrange dénouement dans une ville pourtant considérée « hérétique » et où il s’est imprudemment aventuré.
Le moins que l’on puisse dire de cette histoire est que les avis sont partagés. D’aucuns rapportent que Michel Servet briguait la place de Jean Calvin qui, jouant alors à Genève un rôle de chef spirituel, n’était cependant pas encore au pouvoir. De plus, les annales rapportent que Calvin jugeait cette exécution « trop cruelle ». N’oublions pas non plus qu’à cette époque, Genève connaissait environ trois bûchers par an !**
Au fil des allocutions officielles, notamment celle d’un ancien maire genevois, il semble qu’une prise de responsabilité sincère soit en train de naître. Des expressions telles que « liberté de conscience », « droit aux croyances de son choix » ainsi que des allusions aux calamités engendrées par la « pensée unique » étaient à l’ordre du jour. Et c’est tant mieux ! Cependant, je me demande quel sort m’aurait été réservé si j’étais venu m’exprimer au sujet des campagnes « anti-sectes » aujourd’hui couramment pratiquées en France.
Entre autres, les cas de kidnapping et de séquestration d’enfants majeurs à l’instigation de leurs parents et recommandés par des associations de « lutte contre les sectes »***. Bien sûr, il convient de comparer ce qui est comparable. Cependant, comme toujours en pareil cas, il est plus facile de s’indigner des injustices du passé que de confronter celles qui ont lieu dans le temps présent. A notre décharge, disons qu’en prémâchant pour nous l’actualité à sa guise, le média ne nous encourage pas à nous en faire une idée par nous-mêmes.
F.P.
* Cependant une stèle y commémore encore cet événement décrit comme « une erreur de Calvin qui était celle de son siècle ».
**Selon Isabelle Graesslé, directrice du Musée de la Réforme à Genève.
Rémy Pagani a inauguré cet après-midi une statue en hommage à Michel Servet, condamné au bûcher par Calvin en 1553. Elle prend place à l’avenue de la Roseraie, sur les lieux mêmes où l’humaniste avait été brûlé vif. Cette cérémonie intervient à l’occasion du 500e anniversaire de la naissance de Michel Servet. Des représentants des autorités espagnoles étaient présents pour saluer l’hommage fait à leur compatriote.
Ce libre penseur se voit ainsi entièrement réhabilité à Genève. En 1903, les autorités de l’époque avaient refusé l’érection de la statue réalisée par Clotilde Roch, se contentant d’une plaque expiatoire. L’œuvre fut installée à Annemasse. Une nouvelle épreuve a été réalisée, copie conforme de celle qui se trouve déjà à Saragosse.
Michel Servet aurait eu 500 ans le 29 septembre. Le théologien et médecin espagnol, brûlé vif à Champel le 27 octobre 1553, aura enfin droit à sa statue à Genève grâce à Rémy Pagani. L'œuvre en bronze, qui sera inaugurée lundi après-midi derrière l'hôpital cantonal, a été fondue à Saragosse selon le modèle original en plâtre de Clotilde Roch, une élève de Rodin.
C'est en tant que maire de Genève en 2009 que le conseiller administratif d'A Gauche toute s'est pris de passion pour ce «dissident de la dissidence», devenue une des icônes des libres-penseurs. Servet contestait le dogme chrétien de la Trinité (un Dieu en trois personnes), une hérésie pour le pape autant que pour le réformateur genevois Jean Calvin. Il fut d'ailleurs brûlé deux fois.
A XVIe siècle, on ne badinait pas avec la religion. Les livres du théologien sont interdits. En 1531, il doit changer de nom et sillonne l'Europe sous le patronyme de Michel de Villeneuve, du nom de sa ville natale Villanueva de Sigena, à 125 kilomètres au nord-ouest de Saragosse. Il entretient néanmoins une correspondance avec Calvin. En 1553, il est à Vienne, au sud de Lyon. Son dernier bouquin nie la divinité du Christ. Trop c'est trop, un proche de Calvin le dénonce aux catholiques. Qui l'emprisonnent et condamnent l'hérétique au bûcher. Il parvient à s'échapper. L'inquisition brûlera son effigie en place publique.
En route vers l'Italie, Servet passe par Genève. Pas de chance, il est reconnu, arrêté, condamné une deuxième fois au bûcher. Calvin et la compagnie des pasteurs, qui bataillent ferme alors contre le Conseil de ville pour imposer leur pouvoir et faire de Genève une cité réformée exemplaire, ne sont pas moins convaincus que les catholiques qu'il faut éliminer les hérétiques.
Michel Servet y perd la vie mais y gagne le statut d'icône de la liberté de pensée. Très vite la polémique enfle. Le réformateur Sébastien Castillon critique les protestants genevois. Plus tard Voltaire défendra sa cause. La « victime du protestantisme » empoisonne l'Eglise genevoise. En 1903, l'Eglise nationale fait dresser une stèle expiatoire derrière l'hôpital sur les lieux du bûcher. Mais l'histoire ne s'arrête pas là.
Rémy Pagani s'est plongé dans la vie de Servet avec passion. A Saragosse, où un musée est consacré au théologien supplicié, on a inauguré en 2004 une statue de Servet pour le 450e anniversaire de sa mort et on prépare la commémoration du 500e de sa naissance. Une délégation débarque à Genève et s'étonne de n'y trouver aucune statue du médecin espagnol.
Un bronze a pourtant bien été coulé au tout début du vingtième siècle par Clotilde Roch. Qu'est-il devenu? Rémy Pagani tombe des nues et demande à ses services d'enquêter.
Tribulations des statues de Servet
Philippe Beuchat, conseiller en conservation de la ville de Genève raconte : « En 1902, la Ville a refusé l'œuvre de l'artiste qui avait exécuté le bronze à la demande d'un congrès international de libres-penseurs réuni à Genève. C'est la Ville d'Annemasse qui l'a récupéré.» Un pied de nez de la troisième république plutôt anticléricale à la Rome protestante ? C'est probable, remarque Sabine Maciol, archiviste de la Ville d'Annemasse.
Selon Philippe Beuchat, le plâtre original aurait été offert à Saragosse par la sculptrice ou l'un de ses parents. Les versions divergent sur ce point. Sabine Maciol se souvient que la commune de Saragosse a demandé à Annemasse en 2003 l'autorisation de copier la statue de l'Hôtel-de-Ville. Une demande restée sans suite en raison des coûts de l'opération.
Servet fondue pour la guerre
Arrive la seconde guerre mondiale. L'œuvre de Roch est déboulonnée en 1941, fondue, victime de la récupération des métaux. Vingt ans passent. La ville frontalière s'adresse à la famille de la sculptrice à Rolle. Coup de chance, elle a conservé un plâtre de Servet. Une nouvelle statue en bronze est réalisée. «Elle est légèrement plus petite, moins bien finie que le plâtre original conservé à Saragosse», analyse l'expert Philippe Beuchat, qui conclut : « La seconde statue de Servet installée à Annemasse est sans doute le résultat d'une première ébauche de l'artiste».
En 1988, le maire Robert Borrel, profitant de la réfection de la place de l'Hôtel-de-Ville, y fait dresser la statue. « Servet détourne son regard de Genève », remarque Sabine Maciol. L'archiviste connaît bien son sujet. Elle a organisé une exposition sur le libre penseur en 2008.
Ce lundi 3 octobre 2011, à 14 heures, Rémy Pagani inaugurera la statue de Michel Servet à l'angle des avenues de la Roseraie et Beau-Séjour, en présence de M. De Frutos, Ambassadeur d'Espagne en Suisse, Mme Isabelle Graesslé, Directrice du Musée de la Réforme et de M. Jean Batou, Professeur d'histoire à l'Université de Lausanne.
La copie genevoise a été coulée à partir du plâtre original de Saragosse, mis gracieusement à la disposition des Genevois, note Etienne Lézat, directeur des relations extérieures de la Ville de Genève qui s'est rendu sur place. Dernier clin d'œil de l'histoire, le bronze genevois sort de la même fonderie qui en 2004 a réalisé celui de Saragosse qui se dresse, devant l'hôpital Michel Servet,... avenue Isabel la Catholique.
A lire dans Le Temps : http://www.letemps.ch/Page/Uuid/05fe4c7e-eba4-11e0-89e5-baf6d641008b/Gen%C3%83%C2%A8ve_r%C3%83%C2%A9habilite_Michel_Servet_en_victime_de_la_pens%C3%83%C2%A9e_unique
Une statue du penseur brûlé vif pour blasphème est inaugurée lundi. Un geste politique davantage qu’expiatoire
Brûlé vif en octobre 1553, Michel Servet revient à Genève en effigie, sous la forme d’une statue qui sera inaugurée lundi sur les lieux de son supplice. Cette manifestation, à l’initiative de la Ville, commémore les 500 ans du médecin et théologien espagnol, né selon la tradition le 29 septembre 1511 dans les Pyrénées aragonaises.
«L’affaire Servet reste une tache dans la vie de Calvin, note Isabelle Graesslé, directrice du Musée de la Réforme, qui prononcera une allocution lors de la cérémonie. Même si Genève connaissait à cette époque environ trois bûchers par an.» Pour la théologienne, l’inauguration de cette statue clôt un cycle: «En 1909, c’était encore saint Calvin. Aujourd’hui, on ne peut plus dire que la mémoire genevoise refuse de commémorer une victime.»
1909? Cette année-là, Genève fêtait le 400e anniversaire de Calvin en érigeant le mur des Réformateurs dans le parc des Bastions. Mais elle n’avait pas voulu de la statue de Servet, que lui offrait le mouvement des libres-penseurs. Tout au plus avait-on placé, dans le quartier de Champel, à l’emplacement du bûcher, une pierre commémorative avec une plaque mettant la mort de l’humaniste sur le compte d’«une erreur de son siècle». Quant à la statue des libres-penseurs, signée Clotilde Roch (1867-1923), artiste genevoise et élève de Rodin, elle finira sur la place de la Mairie alors radicale-socialiste d’Annemasse, en guise de monument à la tolérance. Détruite sous le régime de Vichy, elle a été remplacée par une copie.
«Quand j’étais maire, raconte Rémy Pagani, j’ai été contacté par des historiens de Saragosse qui se plaignaient de l’état d’abandon de la pierre commémorative. Nous avons retrouvé en Aragon le moule en plâtre de l’œuvre, légué par Clotilde Roch. Notre statue a été coulée là-bas.» «Servet, c’était le dissident des dissidents», souligne l’élu d’A gauche toute! , qui se réjouit d’ériger «une statue de mémoire, contre la pensée unique dans notre époque du tout-au-marché».
Jean Batou, professeur à l’Université de Lausanne, représentera les historiens lors de cet hommage. Spécialiste de l’histoire contemporaine, il travaille sur la mondialisation, qui prend ses racines à l’époque des grandes découvertes. «Servet et Calvin, c’est la gauche et la droite de la Réforme, résume-t-il. Face à l’homme déchu de Calvin, que seule peut sauver la grâce divine, Servet remet l’homme au centre. C’est très moderne», précise celui qui est aussi candidat au Conseil national sur la liste de Solidarités.
Après avoir été récupéré par les libres-penseurs il y a cent ans, Servet deviendrait-il aujourd’hui un héros altermondialiste? Sa réhabilitation apparaît davantage en tout cas comme un geste politique de la gauche au pouvoir en ville que comme l’acte expiatoire de toute la Cité et toute l’Eglise de Calvin. L’Eglise protestante genevoise a du reste été tenue à l’écart de cette démarche. Sa direction a bien été invitée à la cérémonie de lundi mais elle ne pourra s’y rendre, pour cause de séminaire à l’extérieur. La paroisse de Champel-Malagnou a bien prévu un hommage de son côté, mais plus tard. Il n’y aura pas pourtant de polémiques. Les critiques contre Calvin sont aujourd’hui libérées et les cendres de Servet bien refroidies.
Médecin, Michel Servet avait mis en évidence la circulation sanguine cœur-poumon. Acquis à la Réforme, il se disputera des années durant avec Calvin en contestant le dogme de la Trinité et le baptême des enfants. «C’était un visionnaire, note Isabelle Graesslé, mais son message était inaudible dans une époque gouvernée par l’idée d’un monde trinitaire. En faire une victime du fanatisme est toutefois un anachronisme.» Fuyant le Dauphiné, où l’Inquisition l’a condamné à mort, il se jette dans la gueule du loup en venant à Genève. Sa condamnation au bûcher par l’autorité civile de Genève consolidera l’influence de Calvin, alors contestée.
Pour le pasteur Vincent Schmid, auteur d’une biographie de Servet, le premier apôtre de la tolérance, c’est Sébastien Castellion, celui qui prendra la défense de Servet dans son Traité des hérétiques et à qui on doit la célèbre phrase: «Tuer un homme, ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme.»
Avis à Rémy Pagani: Castellion n’a encore ni rue ni monument à Genève. Servet, lui, est vraiment à la mode. Le groupe de productions lyriques Genevavox présente ce mois un opéra en trois actes intitulé Le Procès de Michel Servet. «Nous ne proposons pas des personnages en noir et blanc, assure Shauna Beesley, la compositrice, une Anglo-Australienne de Genève. Nous explorons les zones grises: Servet a sans doute péché par arrogance et naïveté.»
www.genevavox.net
A l'occasion du 500e anniversaire de la naissance de Michel Servet, la Ville de Genève a fait réaliser une copie de la statue de Clotilde Roch, pour l'installer à côté du monument expiatoire.
Michel Servet, homme de science, médecin et humaniste, est né il y a 500 ans à Villanueva de Sigena, dans la province de l'Aragon, en Espagne. Il publia plusieurs ouvrages théologiques qui refusaient le dogme de la Trinité et le baptême des enfants.
Condamné à mort pour hérésie par les autorités de la Ville de Genève, après avoir été arrêté à la demande de Jean Calvin, il fut brûlé vif en octobre 1553.
En 1902, un congrès international de libre-penseurs réuni à Genève chargea la sculptrice Clotilde Roch de concevoir une statue à l'effigie de Michel Servet. Celle-ci fut refusée par les autorités municipales de l'époque. Seule une pierre expiatoire fut installée en 1903, à l'emplacement du bûcher. La statue prit place à Annemasse.
A l'occasion du 500e anniversaire de la naissance de Michel Servet, la Ville de Genève a fait réaliser une copie de la statue de Clotilde Roch, pour l'installer à côté du monument expiatoire.
Monsieur Rémy Pagani, Conseiller administratif de la Ville de Genève, a le plaisir de vous inviter à l'inauguration de la statue de Michel Servet lundi 3 octobre 2011, à 14h, à l'angle des avenues de la Roseraie et de Beau-Séjour, ainsi qu'à la réception qui suivra.
Cette cérémonie verra la participation de M. De Frutos, Ambassadeur d'Espagne en Suisse, Mme Isabelle Graesslé, Directrice du Musée de la Réforme et de M. Jean Batou, Professeur d'histoire à l'Université de Lausanne.
Dominique Wiedmer Graf
Déléguée à l'information et à la communication
Département des constructions et de l'aménagement
4, rue de l'Hôtel de Ville
1211 Genève 3
Tél. + 41 22 418 20 53 / + 41 79 817 18 90
An IARF publication marking the 500th anniversary of the birth of the Spanish priest and savant celebrated as one of the world’s earliest and most heroic advocates of religious freedom
www.iarf.net Dr Richard Boeke r.boeke@virgin.net 44 (0) 1403 257 801
Our 16th Century Contemporary
Enlightened theologian and peacemaker who sought to reconcile religions and who preached the omnipresence of God, Michael Servetus paid with his life for espousal of tolerance and religious freedom in an age of bigotry.
Calvin’s Geneva saw Servetus and his books burned at the stake. Nevertheless his message of understanding and mutual respect between differing beliefs survives today among all Christian Universalists and the controversies which cost him his life are all too relevant to the religious divisions of our modern world.
In this concise publication seven acknowledged experts combine to offer an authoritative introduction to key aspects of Servetus’ life and teachings. For those who wish to draw on his ideas and his dedication as an inspiration for today’s congregations the book includes a worship resources section freely available for reproduction and use.
Contents
Foreword - English and Spanish (author: Rev. Peter Morales) -- Table of Contents -- Biography of Servetus (author: Jaume de Marcos Andreu) -- Servetus and Islam: In his life (author: Peter Hughes) -- Servetus and Islam: In his writings (author: Jaume de Marcos Andreu) -- Servetus and Unitarianism: The Transylvanian church (author: Rev Sandor Kovacs) -- Servetus and Unitarianism: The Contemporary Legacy (author: Rev.Richard Boeke -- Worship Resources: General Assembly Worship Panel Service ( Rev. Cliff Reed) -- Worship resources: Bilingual Celebration Service (adapted from Servetus Museum original) -- An interview with Servetus (An Imagined talk show, adapted from Calvin and Servetus by Louis W. Jones) -- Selected Bibliography – Appendix: Selections from Servetus’ ‘Restitutio’
July 2011 Paperback A5 Size 68 pages £4.00 (Discount price £3 plus 79p UK postage) from General Assembly of Unitarian and Free Christian Churches
1-6 Essex Street, London WC2R 3HY.
(cheques payable to GA of Unitarian & FCC)
Or Telephone: 44 (0) 20 7240 2384 with credit card details.
Michel Servet est-il un prophète ?
Ne fut-il pas plutôt un médecin, un humaniste et ... presque un réformateur ?
« Presque un réformateur »... Pour qu'il soit devenu un réformateur il aurait fallu qu'il puisse diriger une assemblée de fidèles, que ses écrits aient été reconnus par l'intelligencia protestante, par ceux notamment qui en occupèrent les sièges régionaux, je veux parler des Calvin à Genève, Œcolampade à Bâle ou Bullinger à Zurich, etc. En fait il conviendrait plutôt de dire qu'il ne fut surtout pas reconnu !
En tant que théologien, il ne se trouvera de place pour lui qu'au beau milieu des parias de la Réforme, les anabaptistes. Et encore ! Servet est tellement un penseur solitaire qu'il n'est jamais présenté par les historiens en tant qu'anabaptiste puisqu'il n'avait pas vraiment de rapports étroits avec cette mouvance. D'ailleurs il n'assistera pas au synode anabaptiste de Venise en 1550.
Un homme savant, né dans un petit coin de campagne insignifiant d’Aragon, soignant les malades, s'exprimant dans les langues des érudits et surtout celle des Juifs, capable de traduire les Saintes Écritures qu'il a la volonté d’expliquer alors que les « maîtres » de son temps le critique et le rejette catégoriquement, constamment sur les routes, terminant sa vie exécuté en public par ceux-là même qu’il estimait pouvoir le comprendre, les réformés de Genève, ayant même déclaré qu'il se préparait à la mort, des événements qui ressemblent à s'y méprendre à ceux qui se sont passés au Proche Orient quelques 1 500 ans plus tôt avec un certain Jésus…
Mais Servet n'a pas que le vêtement du prophète... Le prophète a pour vocation de changer les choses, de bousculer les idées reçues et les institutions figées. Il porte en lui le souffle divin qui lui autorise toutes les folies en terme de communication. Mais à sa manière, en cherchant à diffuser, il se révèle le prédicateur exigeant d'un retour au vrai christianisme, celui que l'on appelle de nos jours « primitif » ou encore « anté-nicéen ». Pour lui, si la Réforme l'entend et va au bout de son œuvre elle accouchera d'un christianisme vainqueur de la « Bête sauvage » de l'Apocalypse, la papauté , mot d'alors servant à qualifier l'Église catholique romaine, et abandonnera tout de ses pratiques jugée païennes. Rien qu'en rédigeant sa Christianismi Restitutio, il devient de fait l'annonciateur d'un monde nouveau où le christianisme apostat, selon l'idée qu'il s'en fait, n'a plus droit de cité. C'est un peu comme s'il s'était dit : « Calvin institue le christianisme et bien moi j'en annonce la restitution ! ».
Mais Servet céda à une tentation qui faillie lui être fatale déjà en 1538 à Vienne, celle de l'astrologie judiciaire. On suppose qu'il y aurait rencontré Nostradamus qui, selon des sources, se trouvait dans cette ville la même année. Ce serait une raison supplémentaire pour laquelle Servet s'est penché sur les moyens de connaître l'avenir. Pour lui aucun doute, si Dieu a créé la « machine » céleste ce n'est pas pour rien ! Il voit dans la création des corps célestes un appel divin à les observer et à en chercher les signes qui se révèlent au travers des mouvements planétaires. Il faut dire qu'à l'époque astrologie était synonyme d'astronomie. Si l'observation des mouvements faisait l'objet d'une interprétation ayant valeur de présage on parlait alors d'astrologie « judiciaire », pratique formellement condamnée par l'Église. Le lecteur et traducteur de la Bible qu'il était connaissait sans doute aucun ce mot de la Loi : « Vous ne devez pas chercher les présages, et vous ne devez pas pratiquer la magie » (Lévitique 19:26). Mais, le contexte du verset traitant de la magie - et lui-même ne la pratiquant pas - il pensait probablement que la recherche de présages condamné par l'Écriture était celle entourée de rituels magiques et non la sienne, qui, elle, s’accompagnait de raisonnements logiques et travaillant à la connaissance des actions divines.
Encore cette volonté d'annoncer !
Servet est trop spiritualiste pour cette époque où il est plus que jamais question de pouvoir temporel en religion et trop rationaliste pour une chrétienté encore tant fondamentaliste. Et puis, le temps n'est plus aux prophètes mais aux docteurs. Le monde des réformés, entend plutôt s’appuyer sur les Princes et les Communes qui les soutiennent et ils élèveront leurs enfants dans les lettres des grands hommes qu'ils s'étaient choisis pour guides.
Incompris il le fut jusqu'à la fin. La quasi totalité de ses travaux écrits brûlèrent avec lui à Champel. Ses rêves de réforme radicale, d'avènement d'un monde nouveau, de millénium ayant pour seul roi sur la terre le Christ, où la vache et l'ours pâtureraient ensemble, tout cela fut anéanti dans les flammes.
Par la suite sa mémoire ne survécut que timidement. Ce sont souvent d'autres incompris qui firent resurgir régulièrement son martyr et ses doctrines. Il faudra attendre quelques 350 ans avant que ceux qui se considèrent comme les héritiers de ses accusateurs genevois ne produisent un monument expiatoire et presque autant avant que des milieux extérieurs à l'unitarisme anglo-saxon et transylvain ne s'intéressent à ses travaux.
Mais si Servet fut incompris de son temps combien il ne l'est plus de nos jours ! Tant de voix se sont levées au cours du XXème siècle pour dénoncer ses bourreaux et faire apparaitre son génie au grand jour. Pour les chrétiens non trinitaires d'aujourd'hui, de toute tendance confondue, il a repris sa place de prophète annonciateur d'un autre christianisme et, pour beaucoup d'entre ces chrétiens, de vérités élémentaires. Et ce ne sont pas uniquement les croyants qui lui rendent hommage mais aussi les libres-penseurs de tout bord, tous ceux qui aspirent à la liberté d'expression et de conviction. Il est en bonne place au panthéon des martyrs qui ont scellés de leur sang le droit à cette liberté et qui n'ont pas plié le genoux devant l'alliance fanatique du tribunal ecclésiastique et du bras séculier.